On consacre des années à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Et il nous faut aussi des années pour bien maîtriser la parole. Mais apprend-on vraiment à écouter ? C’est le sujet de notre épisode du jour, qui s’inscrit dans notre dossier sur les questions qui font vendre : l’écoute active dans la vente.
Les dents de Ross Geller
Est-ce que vous vous souvenez de cet épisode de Friends où Ross s’était fait blanchir les dents ? Alors qu’il préparait un rendez-vous galant, notre paléontologue préféré avait forcé sur la dose. Résultat : des dents si blanches qu’elles en devenaient flippantes.
Pour ne pas perdre la face, le soir et le rendez-vous venus, Ross décidait de parler le moins possible, et en retour d’écouter la fille qu’il entreprenait de charmer. Celle-ci, agréablement surprise de trouver un homme qui, justement, l’écoutait avec attention et bienveillance, commençait à le trouver bien à son goût.
Bien entendu, ça n’allait pas durer, et une lumière noire inopportune allait révéler les terrifiantes dents blanches de Ross, et faire capoter son entreprise de séduction.
Mais s’il y a un élément à retenir ici, c’est que se sentir écouté est très plaisant pour un orateur. Et ça le pousse à s’ouvrir davantage et révéler de plus en plus de choses. On va y revenir !
C’est quoi l’écoute ?
Une définition courante de l’écoute, c’est de la voir comme quelque chose de passif. Celui qui parle est actif, celui qui l’écoute est passif. C’est le concept qu’on retrouve par exemple lorsqu’on dit : « détends-toi et écoute-moi ».
Mais ça, est-ce que c’est vraiment de l’écoute ? On est en réalité en plein dans la différence entre écouter et entendre. Oui, entendre c’est passif : on perçoit un son. Mais l’écoute est active ! Ecouter, c’est un acte conscient et engagé qui demande une grande concentration.
Notre cerveau est trop rapide
Ce qui se cache derrière ce besoin de concentration, c’est la faculté de notre cerveau à être distrait. Il faut dire que notre matière grise se sent sous-exploitée : elle pourrait toujours suivre la cadence, si notre interlocuteur parlait jusqu’à six fois plus vite que l’orateur moyen. Et du coup, elle consacre ses 5/6èmes d’attention disponible à divaguer.
Tiens, je suis sûr que vous avez déjà fait ce geste (stupide quand on y pense). Vous êtes sur le point d’arriver à destination, en voiture, et vous commencez à chercher une place de parking ou l’emplacement exact de votre hôtel. Du coup, vous baissez le son de la radio. « Je vais mettre moins fort pour voir mieux » ! Étrange non ?
Pas tant que ça en fait : votre cerveau gérait parfaitement jusqu’ici plusieurs flux d’informations parallèles. La route et les autres automobilistes, la conduite de votre propre voiture, l’émission de radio que vous écoutiez et probablement encore quelques pensées qui tournaient dans votre tête.
Mais quand il a fallu augmenter le niveau d’attention d’une des parties (la concentration sur l’objectif final), vous avez réduit les perturbations alentour. Vous ne pensez plus qu’à votre but et… vous baissez le son.
L’écoute active c’est un peu cette même idée : pour la pratiquer, vous allez devoir réduire le flux d’informations parasites et vous concentrer uniquement sur votre activité première, écouter.
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Mieux utiliser la puissance de votre cerveau
Maintenant que vous consacrez toute votre attention à votre interlocuteur, vous vous interdisez toute pensée inopportune. Et du coup votre cerveau s’interroge : « mais du coup je fais quoi, avec mon surplus de puissance disponible ? »
Cette capacité de calcul, vous pouvez maintenant la mettre au service des 3R : Répéter, Reformuler et Résumer. Au fur et à mesure que votre interlocuteur va dérouler son récit, vous allez retenir les éléments clés. Vous pourrez ensuite les reprendre avec vos mots et les énoncer en retour pour lui confirmer que vous avez bien compris ce qu’il veut dire. Ou, le cas échéant, lui donner l’occasion de vous ré-expliquer, si vous n’avez pas tout saisi.
L’écoute active repose sur l’empathie
Il y a en réalité un quatrième R, qui est peut-être le plus important : Recontextualiser. Cette idée repose sur l’empathie. Vous devez vous mettre dans les baskets de votre interlocuteur, pour comprendre et ressentir ses propos et ses émotions, au fur et à mesure qu’il déroule son récit. De cette manière, vous allez re-créer dans votre esprit tout le contexte de ce qu’il vous raconte, et entrer en résonance avec lui.
Votre mission, dans cet exercice d’écoute active, c’est de questionner l’orateur de façon pertinente. De l’aider à éclaircir certains points ou de relever des affirmations contradictoires. De le pousser à poursuivre sa réflexion et d’élaborer sur la base de ses premières affirmations. En fait, vous allez l’aider à construire et à vous raconter son histoire.
Construire l’histoire
Parce que oui, c’est ici que je reboucle avec l’épisode de la semaine dernière : le point cardinal de cet exercice d’écoute active, c’est de construire l’histoire de votre interlocuteur. Vous lui avez ouvert la voie, par exemple avec votre première histoire, sur vous. Et vous venez de lui apporter un regard nouveau sur son marché avec votre histoire de type quatre : le « Saviez-vous que ? ».
Maintenant, par votre écoute active, vous allez l’aider à vous raconter les enjeux auxquels il est confronté. Les obstacles sur sa route, son plan de bataille. Tout ça va devenir épique parce que vous allez l’aider à le faire !
Les trois pièges à éviter
On a vu que l’écoute active repose sur une attention entièrement consacrée à l’interlocuteur. Cette condition nécessaire n’est cependant pas suffisante : il reste quelques écueils à éviter
Juger
Cette première erreur est liée à la question d’empathie dont on parlait à l’instant. Encore une fois, pour comprendre ce qu’on nous raconte, on doit se mettre dans les baskets de celui qui nous le raconte ! Donc, il faut utiliser ce nouveau contexte et en intégrer la logique et les ressorts.
On ne peut donc pas se permettre de juger ce que notre interlocuteur dit ! Sinon, on va sortir de la zone d’empathie, et commencer à analyser et réfuter ce que nous entendons, plutôt que d’écouter.
Interrompre
Une tentation forte, si justement on est en train de juger, ou tout simplement si on ne peut plus attendre, c’est d’interrompre notre interlocuteur. Mais en dehors de l’aspect de politesse élémentaire, l’interruption va surtout avoir un inconvénient majeur : coupé en plein élan, l’orateur va penser à tout ce qu’il a encore à dire. Et par conséquent, il ne sera pas disposé à nous écouter et à centrer son attention sur nous.
Donc, l’interruption va peut être nous faire du bien, nous permettant de libérer rapidement ce que nous avons sur le cœur. Mais elle est triplement contre-productive : impolie, inutile puisque l’autre n’écoute pas, et brisant la connexion entre notre interlocuteur et nous.
Bien sur, il est possible que l’orateur ne lâche jamais le manche. Mais ça, c’est pas forcément un problème : s’il raconte spontanément tout ce que vous voulez apprendre, dans le fond, est-ce que vous vraiment besoin de parler ? Après, si vraiment il semble se perdre dans son récit, à vous de répéter, reformuler et résumer son propos de temps à autre pour l’encourager à avancer. Mais toujours sans l’interrompre, ou au moins sans interrompre sa lancée.
Préparer sa propre prise de parole
Voilà peut être le père de tous les pièges. Vous avez bien intégré que vous ne devez pas juger, et vous vous êtes solennellement promis de ne pas interrompre votre interlocuteur. Mais vous ne l’écoutez pas vraiment non plus.
En fait, après chacune de vos questions ou de vos histoires, vous réfléchissez à la prochaine. Soit, parce que vous avez des jalons que vous voulez poser, soit – et c’est encore plus courant – parce que vous suivez un script.
Oh vous n’êtes pas vraiment à blâmer, on nous entraîne tous à commettre cette erreur depuis tout petits. Pensez au jeu du bâton de parole chez les enfants : à tour de rôle, les enfants vont pouvoir s’exprimer. Celui qui a le bâton parle, les autres écoutent.
Enfin non, celui qui a le bâton parle, les autres ne parlent pas mais aimeraient bien (d’ailleurs à la seconde où ils auront le bâton, ils vont dire ça, ça et ça !). Dans le fond, la citation de Stephen Covey qui ouvrait cet épisode est assez tristement vraie : on n’apprend jamais vraiment à écouter.
Les scripts, cette fausse bonne idée
Dans le commerce B2B, certains pensent avoir trouvé la parade : fournir des scripts et des questionnaires aux commerciaux de terrain. Plutôt que de les aider à développer leurs capacités d’écoute active, on leur fait passer le message que les réponses n’ont dans le fond que peu d’importance.
L’enchaînement des bonnes questions dans le bon ordre devrait allumer l’étincelle magique dans la tête des clients, qui se précipiteraient ensuite pour acheter. Je ne vous fais pas un dessin, c’est absolument faux.
La même séquence de questions, mariée à de l’écoute active peut en revanche être un outil absolument décisif : vous n’allez continuer à poser les questions du script que si votre écoute vous indique que c’est bien le sens de la conversation que vous êtes en train de mener. Sinon, à vous de vous en libérer et de trouver de nouvelles questions plus pertinentes et adaptées !
Les questions au service de l’écoute active
On touche maintenant au cœur de l’art de l’écoute active : l’écoute ne fait pas partie du questionnement, c’est le questionnement qui fait partie de l’écoute !
Autrement dit, l’écoute n’est pas le temps entre les questions : les questions sont une autre forme d’écoute, au cœur de l’écoute active. Vos questions doivent résonner avec ce que vient de dire le prospect, et doivent l’aider à structurer la suite de son récit.
Je vous disais la semaine dernière que le commercial B2B était en quelque sorte le metteur en scène du spectacle dans lequel triomphe le client, en tant que tête d’affiche. Pour filer la métaphore, je dirais que cette semaine nous sommes le Ghost Writer qui aide le client à structurer son récit. Un récit qui va se développer au fil du temps, passer par les étapes inhérentes à toute bonne histoire, et se conclure sur le gagnant-gagnant entre lui et nous.
Le message clé que je veux vous faire passer ici, c’est que cette approche d’écoute active constitue un état d’esprit résolument différent dans la gestion de l’entretien commercial. Vous n’êtes plus là pour extraire les problèmes et les douleurs de vos prospects. Non, vous exprimez plutôt votre curiosité. Vous montrez que vous vous souciez de leurs problématiques. Que vous voulez comprendre où ils étaient, où ils sont aujourd’hui, ce qu’ils ressentent, où ils comptent aller et pourquoi. Vous vous connectez émotionnellement.
Trois qualités essentielles
Pour maximiser vos chances d’atteindre cette connexion émotionnelle, vous allez devoir développer trois qualités qui définiront votre écoute active.
L’observation
Avant de commencer cette section, je vais faire un peu de science de comptoir. Pourquoi de comptoir ? Parce que les chiffres que je vais vous donner maintenant sont un éternel débat. Mais qu’ils soient justes, sous- ou sur-évalués, dans tous les cas, ils définissent une tendance.
- 7% de notre communication passe par les mots
- 38% de cette même communication sont transmis par notre ton
- les 55% restants sont en fait notre corps qui parle, par nos expressions du visage ou notre posture globale
Il est donc primordial d’observer attentivement notre interlocuteur. En fait, son expression corporelle en général est le plus fort des tell, et comme on n’est pas en table finale des championnats du monde de Texas Hold’Em, il y a peu de chances qu’il pense à maintenir une pokerface constante !
Bien sur, il y a déjà tous les petits trucs. Si les pieds de votre interlocuteur sont tournés vers l’extérieur, son corps cherche à fuir votre conversation. S’il a des mouvements parasites lors de certaines affirmations, c’est sans doute qu’il ment. En fait, les enfants se cachent la bouche quand ils mentent. Et en grandissant, notre cerveau apprend à déplacer ce mouvement pour qu’il soit moins perceptible, mais pas à l’effacer. Si vous voulez une masterclass rapide et divertissante sur le sujet, vous pouvez vous référer au personnage de Samuel L. Jackson dans le Négociateur.
Mais l’essentiel est ailleurs, au delà des petits trucs. Quelle émotion globale émane de votre interlocuteur. Que dit son corps ? Et ses épaules, son dos ? Que dit son regard ? Voilà ce que vous devez observer, et lire.
L’encouragement
C’est ce qui fait toute la différence entre placer votre interlocuteur sur le grill ou sur le divan. Entre l’interviewer à la Marc-Olivier Fogiel, Edwy Plenel ou Jean-Jacques Bourdin ou l’accompagner à la Michel Drucker ou Mireille Dumas. Je vais laisser là la métaphore télévisuelle, mais l’idée c’est que si vous voulez que votre interlocuteur s’ouvre à vous en toute confiance, vous devez l’y encourager !
Cet ingrédient essentiel de l’écoute active peut être mis en oeuvre sur les plans verbaux et non-verbaux.
Votre corps peut constituer un premier encouragement, par exemple avec des « Hmm hmm », combinés à un hochement de tête affirmatif, un regard posé sur l’interlocuteur et votre buste tourné vers lui. On peut ranger ici aussi le « Dites-moi en plus », au cours du quel vous vous penchez en avant dans la direction de l’interlocuteur pour lui montrer qu’il vous captive. Ou encore tout simplement, le respect des pauses. Si votre interlocuteur fait une pause dans son récit, montrez-vous détendu et en attente de la suite de l’histoire. Ne sautez pas sur l’occasion pour reprendre la parole : encouragez-le par votre langage corporel à poursuivre.
Sur le plan verbal, vous pouvez lui montrer votre intérêt et l’encourager à poursuivre avec des relances aussi courtes que possible, comme « et ensuite ? » ou « pourquoi ? ». Notez au passage que ma question préférée (pourquoi, pour celui là bas au fond qui ne suivait pas) présente un triple avantage. Elle montre votre intérêt pour ce qui vient d’être dit, paraît demander simplement une clarification sur un élément donné, tout en développant en réalité une partie de l’histoire que l’orateur aurait éludée. Ah, qu’est-ce que j’aimerais avoir encore quatre ans et demander « pourquoi » toute la journée !
Les non-questions pour accompagner l’écoute active des émotions
Il y a enfin un dernier élément d’encouragement : les non-questions. Il peut être dérangeant, ou en tout cas inhabituel, pour votre interlocuteur, d’évoquer ses émotions dans le cadre d’un entretien commercial B2B. Donc, si vous l’attaquez directement avec des questions comme « que ressentez-vous ? », il va se demander qui est cet olibrius qui se prend pour son psy. En même temps, ne pas aborder les émotions, c’est se passer de la dimension principale de toutes les histoires. Alors comment faire ?
Et bien, vous allez pouvoir reformuler l’émotion que vous pensez ressentir chez votre prospect. Tentez votre chance, si vous tombez faux, il corrigera et vous donnera la vraie information ! Vous pouvez lui dire « ça a eu l’air de vous agacer ». Ou le tourner sous forme de question bienveillante : « à quel point ça vous a démotivé ? ». Une autre approche possible serait : « Pourquoi avez-vous ressenti ça ? Si ça vous va, j’aimerais comprendre ».
Mais vous voyez l’idée, devinez l’émotion et faites-vous la confirmer.
La réflexion
Cette troisième et dernière qualité se rapproche des 3R dont on a parlé il y a quelques instants. Je parle ici de réflexion, au sens du miroir, pas du penseur de Rodin.
L’idée avec cet outil, sera de reprendre l’histoire du prospect, en la résumant et en la paraphrasant. Dans cet exercice, comme toujours, n’oubliez pas de décrire les émotions ! Vous pouvez jouer la transparence ici, par exemple en disant : « Voyons si je vous ai bien compris… ». Ou encore, « Laissez-moi récapituler ce que vous venez de me dire ». Dans cette seconde approche, concluez votre résumé avec un : « est-ce que je vous ai compris ? »
En effet, votre prospect appréciera d’avoir été compris par l’entremise de votre écoute active. Et encore une fois, si vous vous êtes planté, devant vos efforts pour vous mettre dans ses baskets, il sera ravi de vous ré-expliquer !
Enfin, le dernier temps de cette phase de réflexion, sera de – brièvement – évoquer ce que l’histoire de l’orateur éveille dans votre propre histoire. « Wow, votre projet qui a pris six mois de retard, ça me rappelle la construction de cette salle qui avait été retardée de trois mois. Ce stress, cette pression, c’était si pénible que j’ose à peine imaginer ce que vous avez pu ressentir avec un retard deux fois plus important ! »
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Ecoute active : et les chinois dans tout ça !
Puisqu’on arrive doucement à la fin de cet épisode, je vais anticiper la question que Bob, mon commercial préféré ne manquera pas de me poser, par exemple dans la section « notes et avis » d’Apple Podcast. « Où sont passés les chinois du titre de cet épisode ?! »
C’est simple, tout ce que je vous ai raconté aujourd’hui, peut être résumé par l’idéogramme chinois traditionnel signifiant « écoute » :
On y voit bien, que la sagesse chinoise ancestrale définit l’écoute (active) comme l’action conjointe des oreilles, des yeux et du cœur, la pensée se concentrant sur l’interlocuteur.
Ça me donne même l’occasion de faire une seconde de propagande anti-communiste : la réforme des caractères chinois réalisée sous Mao en 1956 a simplifié ce sinogramme. Et proposé le caractère suivant à la place :
Allez comprendre comment un marteau peut aider à l’écoute active. Merci Mao !
Alors Bob, satisfait ? Dans tous les cas, et c’est valable pour Bob comme pour les autres, si vous m’écoutez encore à ce stade de l’épisode, c’est que vous l’avez trouvé intéressant ! Vous pouvez m’aider à faire découvrir ce podcast à plus d’auditeurs, en allant me mettre cinq étoiles sur Apple Podcast, ou en partageant cet épisode avec un ami, un proche ou un comptable. Merci pour le coup de main, et à jeudi prochain !
Aller vers les autres chapitres de ce dossier :
Vendre comme Socrate, un jeu dangereux ?
Comment poser des questions pertinentes, auxquelles on vous répondra sans mentir ?
Quelles sont les questions à poser, et dans quel ordre ?
Comment obtenir le droit de poser des questions ?
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2 réflexions au sujet de “L’écoute active : cet art chinois ancestral absolument indispensable !”