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Comment formuler un bon pitch ? Deux études de cas tirés de « Qui veut être mon associé »

Podcast

Comment réaliser un bon pitch ? Que vous prépariez votre premier exposé d’histoire au collège ou une conférence TED, c’est sans doute une question que vous vous posez. Et si vous devez vendre quelque chose, que ce soit un produit, un service, une solution, une idée, votre boite ou… vous, c’est clairement une étape indispensable. Alors démarrez Powerpoint et préparez vos meilleurs Clipart, ce tutoriel va vous guider pas à pas. Et en bonus exclusif, je vais vous donner les cinq meilleures transitions animées pour hypnotiser vos prospects ! Ou pas.



Vous l’aurez compris, vous n’avez besoin ni d’un logiciel ni d’émoticônes poncées jusqu’à plus soif ni évidemment de fondu-enchaînés en étoile pour préparer un bon pitch et réaliser une bonne présentation. Ce qu’il vous faut en revanche, c’est une structure et une méthode ! Et c’est de ça dont on va vraiment parler aujourd’hui.

Déjà, commençons par définir ce dont on parle. Comment pouvez-vous évaluer la performance de votre présentation ? Dans le monde du commerce, la métrique est simple : au bout de la route, vous devez vendre. Donc, votre pitch doit – suivant sa place dans le cycle de vente – soit vous permettre d’atteindre le jalon suivant, soit conclure la vente ! À vous donc de savoir où vous vous trouvez.

Qui veut être mon associé : Une masterclass de bonnes présentations ?

Prenons un exemple. Mettons que vous ayez été sélectionné pour présenter votre entreprise à un parterre d’investisseurs. Maintenant que vous avez passé les étapes de sélection et de filtrage, le but de votre présentation est d’obtenir un financement. Et si possible à des conditions avantageuses ! Bon ça tombe bien, parce que cet exemple il passe en ce moment à la télé sur M6, dans l’émission « Qui veut être mon associé », on va donc pouvoir étudier comment ça se passe, en pratique.

Pour trouver son nouvel associé, il faut produire un bon pitch !
Le Shark Tank à la française, Julien Courbet en plus !

Avant de commencer, un mot sur l’émission. Il s’agit de l’adaptation française du format américain « Shark Tank », lui-même inspiré du « Dragon’s Den » original, originaire du Japon. Le format est très similaire dans la quarantaine de pays où il est produit et diffusé : des investisseurs reconnus auditionnent des entrepreneurs en devenir. Si le pitch est bon, ils prennent des parts ou des royalties contre leur soutien financier et/ou personnel. Et voilà comment Marc Simoncini ou Frédéric Mazzella reprennent le rôle de Mark Cuban ou Lori Greiner !

Mon propos aujourd’hui, n’est pas d’analyser l’émission, mais de vous montrer pourquoi personnellement je l’adore. Vous avez accès, en accéléré, au meilleur (et au pire) des méthodes de présentation. Et c’est ce qu’on va voir pas plus tard que tout de suite.


Etude de cas n°1 : Morphée

Dans ce premier extrait, deux entrepreneurs viennent proposer une entrée au capital de leur entreprise – Morphée, et je vais les laisser vous la présenter dans un instant. Je vais aussi vous proposer mon analyse à vif des différentes phases de leur pitch !

Morphée c’est cet objet qui contient 200 séances de sophrologie et de méditation guidée qui permettent de s’endormir plus facilement et de générer un sommeil réparateur

Guillaume Barathon – co-fondateur de Morphée

On commence d’emblée avec une présentation de la solution, en l’occurrence le produit que propose l’entreprise.

Au départ en fait c’est moi qui avais beaucoup de stress, donc j’arrivais pas à m’endormir ou je me réveillais au cours de la nuit. Il se trouve que pendant cette période j’ai découvert la méditation et que la méditation améliorait profondément la qualité de mon sommeil.

Guillaume Barathon – co-fondateur de Morphée

On pourrait considérer ce passage comme une personnification du problème. Mais l’impact émotionnel devant dans ce cas pointer sur l’interlocuteur et non sur l’orateur, on va plutôt le voir comme une introduction.

Quand j’ai rencontré Charlie il y a 4 ans, on a décidé de s’associer et de s’entourer de professionnels du sommeil pour créer l’objet le plus complet possible qui permette à tout un chacun de gérer la qualité de son sommeil

Guillaume Barathon – co-fondateur de Morphée

Ici, on a une classique présentation de l’entreprise et de ce qu’elle fait

Les co-fondateurs de Morphée, en plein pitch. Et plutôt bon, même si trop orienté produit !
Les deux co-fondateurs de Morphée

Rentrons dans le vif du pitch

Je vais vous montrer comment ça fonctionne… […] et on peut également brancher ses écouteurs !

Charlie Rousset – co-fondateur de Morphée

Nous revoilà dans la présentation du produit et sa démonstration – je me suis permis de l’accélérer, ça dure 45 secondes.

[Le produit est génial, nos clients l’adorent]

Charlie Rousset – co-fondateur de Morphée

Encore et toujours, la présentation du produit, sous le prisme cette fois de la preuve sociale et de la satisfaction client.

Une étude de l’INSV, l’institut national du sommeil et de la vigilance montre que 4 millions de personnes en France ont régulièrement des troubles du sommeil. En France on est les premiers en termes de consommation de somnifères en Europe. Beaucoup de clients nous disent qu’ils ne prennent plus de somnifères depuis qu’ils utilisent Morphée.

Charlie Rousset et Guillaume Barathon – co-fondateurs de Morphée

Voilà maintenant la révélation du problème : beaucoup de gens souffrent de troubles du sommeil, et la France est championne du monde de consommation de somnifères.

Elon Musk, un entrepreneur passé maître dans l'art du pitch... et de l'outrance !
Non, pas CES somnifères.

Combien ça coûte ?

Le produit est vendu 79€ […] on va pas pouvoir couper le prix en deux

Charlie Rousset – co-fondateur de Morphée

On aborde à présent la question du prix, la fin théorique de la présentation produit.

Le téléphone c’est considéré comme le pire ennemi du sommeil, ça crée de l’agitation, ça maintient un état d’alerte. La lumière bleue du téléphone empêche la sécrétion de mélatonine. On a voulu créer un produit qui soit déconnecté, dédié au sommeil. Notre conseil c’est au moment d’aller se coucher de laisser le téléphone en dehors de la chambre ! Et là, avoir un produit qui est dédié, avec un contenu créé par des professionnels, pour nous ça fait sens.

Charlie Rousset – co-fondateur de Morphée

Cette explication intéressante, apporte un jour nouveau sur le problème de la difficulté d’endormissement. Le vrai problème c’est pas la consommation de somnifères – ça c’est le symptôme – c’est l’utilisation du portable. Je vous coupe ensuite un nouveau passage qui parle produit, produit et produit.

Une erreur courante dans toute présentation : aller trop vite au produit et se concentrer dessus à outrance !
Qui a dit qu’il n’y avait pas assez de produit dans ce pitch ?

On arrive au bout du (bon?) pitch !

Il y a aussi deux autres points, c’est tout le côté cadeau : on n’offre pas une application mobile ni pour Noël ni pour la fête des mères, et nous c’est deux moment où on vend énormément. Ce côté cadeau où on peut offrir ça à quelqu’un. Il y a aussi la dimension économique, le prix moyen des applications c’est des abonnements, c’est 84€ par an. Avec Morphée, c’est 79€ par an et on peut s’en servir des années.

Charlie Rousset – co-fondateur de Morphée

Cette présentation de la proposition de valeur démontre pourquoi les solutions existantes ne sont pas bonnes. On ne peut pas offrir une App, et sur le long terme, l’App coûte plus cher.

C’est une somme qui va nous permettre d’accélérer en termes de création de nouveaux produits. Notre business model nous permet de créer un nouveau produit tous les un an et demie, deux ans. Alors que là, on pourrait aller beaucoup plus vite, aller plus vite à l’international. Au-delà de la levée de fond, on cherche aussi à s’associer avec un investisseur qui pourra nous accompagner !

Charlie Rousset – co-fondateur de Morphée

L’entrepreneur présente ici son plan d’implémentation : ce qui se passera après l’investissement.

On parle ici d'investissement, au bout du pitch gagnant. Pas d'un buy-out !
Non, pas ça.

Verdict : Le résultat du pitch

L’investissement justement, c’est la pierre sur laquelle va achopper la discussion. En effet, les investisseurs vont proposer les 500’000 € demandés par les deux entrepreneurs, non pas pour les 10% proposés, mais pour 25% de l’entreprise. Ce qui ferait passer sa valorisation de cinq millions à deux : inacceptable pour les deux co-fondateurs, qui vont décliner l’offre.

A mon sens, ce qui vient de se jouer ici, c’est que les investisseurs ont salué le produit – qui réalise déjà 4 millions de chiffre d’affaires annuel – mais doutent du potentiel général de l’entreprise. On retrouve d’ailleurs exactement cette conclusion dans l’objection que verbalise Eric Larcheveque après le départ des deux entrepreneurs :

4 millions de chiffre d’affaires, il faut voir les marges, le renouvellement, le futur… C’est du consumer électronics, c’est extrêmement compliqué. Il y a pas de modèle de revenu régulier : même si tu fais 100 millions de chiffres d’affaire sur la vente de produit, l’année d’après tu dois tout recommencer.

Eric Larcheveque – Membre du panel d’investisseurs

Construction de la présentation : bon pitch ou pas ?

Dans la construction de la présentation, on voit qu’il y a eu une emphase très prononcée (sans doute trop) sur le produit, et finalement bien trop peu sur le problème auquel ce produit répond, et surtout les implications qu’il pourrait avoir.

Avant de revenir à l’exemple, faisons un point sur la structure qui devrait être celle d’une présentation idéale – telle qu’observée par Matthew Dixon et Brent Adamson dans « the Challenger Sale ». En étudiant 6’000 commerciaux B2B et avec l’aide de l’analyse factorielle, ils ont pu identifier le squelette et les étapes qui constituent la présentation parfaite. Et il y en a six :

1. Etablir sa crédibilité

L’ouverture de toute bonne présentation doit accrocher l’auditeur. Vous devez gagner son attention, et la meilleure façon de le faire, c’est de lui montrer que vous le connaissez. C’est un biais psychologique dont on a déjà parlé sur le podcast : si vous pouvez décrire le problème de votre interlocuteur, il va partir du principe que vous avez la solution.

Et si tant est que vous ne fassiez pas l’erreur (si courante, on vient de le voir) de sauter directement dans la solution à pieds joints, vous allez le tenir en haleine jusqu’à ce que vous exposiez la solution.

Seulement voilà, à ce stade vous n’avez rien appris à votre prospect, vous lui avez juste confirmé que vous le comprenez et démontré de l’empathie. Or s’il n’a pas lui-même résolu le problème jusqu’ici, c’est qu’il ne le juge sans doute pas assez sérieux. Voilà pourquoi vous devez enchaîner avec :

2. La recontextualisation

C’est le point crucial de votre présentation, vraiment ici que tout se joue. Vous devez maintenant apprendre à votre interlocuteur quelque chose qu’il ne sait pas encore sur son propre business, sur le marché ou une tendance lourde qui peut l’impacter. De cette manière, vous lui montrez que vous le connaissez mieux qu’il ne se connait lui-même. Vous allez éclairer le problème d’un jour nouveau, et lui révéler qu’il y a tout autre chose pour peu qu’on gratte sous la surface.

En résumé, il savait qu’il avait un problème, mais en fait, comme l’homme voyant la paille dans l’œil de son voisin mais manquant la poutre dans le sien, il n’avait pas identifié LE problème. Et grâce à vous, il va mesurer l’impact de la chose.

3. La noyade rationnelle

Bon, j’avoue ce n’est pas la plus jolie traduction que j’aie jamais commise. Mais dans ce troisième temps, vous allez chiffrer l’impact du nouveau problème – le vrai – et son contexte. Présentez-lui les chiffres qu’il ne connait pas sur son business, son marché ou son inefficacité. Le volume des opportunités qu’il rate par son inaction. Si vous avez des statistiques, des projections et des diagrammes camembert, leur place est ici ! Vous pouvez aussi intégrer un calculateur de retour sur investissement, centré justement sur le non-investissement. Chiffrez le coût de la non-décision !

Une fois cette étape passée, vous allez encore monter le niveau d’implication d’un cran avec…

4. L’impact émotionnel

Ici, les choses deviennent personnelles. Quelles seront les conséquences du problème pour votre interlocuteur ? Que va-t-il ressentir ? Rappelez-vous, on en a aussi parlé sur le podcast : mettez des mots sur ses émotions. Décrivez la douleur que représente l’inaction, montrez-lui ce qu’il ne peut pas voir avec le nez dans le guidon.

Avec cette étape, vous tuez dans l’œuf l’objection naturelle de votre prospect à ce stade qui se dit « oui, tout ça c’est vrai, mais ça ne s’applique pas à moi, je suis spécial ! ». Ça tombe bien, des entreprises « spéciales » comme la sienne, vous en connaissez, elles sont passées par ce même problème et vous pouvez en décrire les conséquences. Racontez lui l’histoire qui l’attend, s’il sous-estime les impacts de l’inaction.

Enfin quand vous aurez touché le niveau bas de l’ascenseur émotionnel et que fini d’appuyer là où ça fait mal, vous pourrez commencer à remonter, avec…

5. Une nouvelle voie (la proposition de valeur)

Et s’il existait une façon de répondre au problème de votre prospect ? Si une solution devait exister, elle reprendrait les éléments suivants : à vous de commencer à la construire. Attention à cette étape, il ne s’agit pas de décrire votre produit ou de présenter votre service, mais bien de montrer point par point comment le prospect devrait mettre des moyens en face de chaque problème pour pouvoir le résoudre.

Dans cette étape, vous allez convaincre votre interlocuteur que sa vie serait meilleure s’il agissait différemment. Vous le sortez enfin de la zone d’inaction. Il est alors temps de passer à :

6. Votre solution

Puisque votre prospect est convaincu qu’il doit agir, et différemment, vous allez maintenant lui montrer que la meilleure façon de le faire, c’est par l’entremise de votre solution. Cette partie est sans doute la plus simple pour vous, puisqu’intuitivement c’est ce que vous vouliez lui hurler depuis que vous avez franchi la porte !

Mais attention, il y a quand même un piège ici. Vous devez être certain de guider votre prospect vers la bonne solution. C’est-à-dire évidemment une solution qui réponde à son problème profond (car non, le marketing ne peut pas « créer des besoins pour y répondre » en commerce B2B). Mais surtout une solution qui vous soit propre et qui s’appuie sur votre différence.

Donc, c’est aussi ici que votre parcours doit commencer, quand vous préparez votre présentation idéale : quel est votre venin ? Votre proposition de valeur unique ? Votre atout qui vous démarque de vos concurrents ? Posez-vous cette question en profondeur, et fuyez les explications simplistes.

Une fois votre solution présentée, il sera temps d’enchaîner directement et dans cette même séquence vers la conclusion : tentez d’accrocher et de vendre la prochaine étape du cycle de vente !

Revenons à notre étude de cas

Bon, maintenant que nous avons établi ces bases théoriques, retournons voir dans notre exemple comment le pitch de Morphée était articulé.

L’ensemble de la présentation (si on exclut les séquences de questions-réponses) a duré un peu moins de cinq minutes. Les trois quarts du temps ont été consacrés à parler de la solution, tandis que l’impact émotionnel et la noyade rationnelle sont totalement absents.

Deux problèmes dans ce pitch

Il y a donc un vrai problème d’équilibre dans la présentation. Pour une entreprise venant pitcher son produit, la bonne mesure n’est sans doute par l’équilibre parfait entre toutes les séquences, et il est normal que ledit produit prédomine un peu. Mais pas au point de truster trois fois plus de temps de présentation que toutes les autres phases réunies.

Le deuxième problème est structurel. On voit que la présentation ne raconte aucune histoire : en lieu et place elle part directement sur le produit. Et en essayant d’en placer toutes les caractéristiques, elle noie la différentiation de Morphée, ce qui d’ailleurs provoquera une objection forte de Frédéric Mazzella :

En revanche moi de mon côté, je trouve que c’est un objet de plus, quand probablement quand même, c’est un produit qui pourrait passer par une App.

Frédéric Mazzella – Membre du panel d’investisseurs

Or, c’est par là que devrait commencer la structuration du récit des deux entrepreneurs. Leur sauce secrète, ce n’est pas de proposer une solution pour s’endormir le soir sans somnifères. Non, leur truc unique, c’est qu’ils le font avec un objet physique, sans lumière bleue, ondes ni tentation d’aller vérifier une dernière fois ses mails où son feed facebook.

Oui, Morphée va vous libérer !

Construire le bon pitch

Maintenant que la conclusion est trouvée, il faut construire l’histoire en partant de la recontextualisation. Et les créateurs de Morphée ont fait un bon boulot ici, je trouve que leur idée de parler de la surconsommation de somnifères est très pertinente.

Il manque ensuite une noyade rationnelle : pourquoi pas creuser ici la dépendance aux benzodiazépines ? Une simple recherche google fournit déjà des pistes. La dépendance de l’organisme après trois semaines qui provoque un cercle vicieux, le fait qu’un utilisateur sur dix usant de somnifères pour la première fois dépasse les durées recommandées de traitement, ou encore le fait que cette dépendance touche deux fois plus de femmes que d’hommes.

Ce dernier élément donne un angle tout trouvé pour l’impact émotionnel : Catherine Barba, dans le jury, vit à New York et fait donc des aller-retours transatlantiques réguliers. Pourquoi ne pas parler ici du nombre de burn-outs et de troubles psychologiques engendrés par l’abus de somnifères chez les voyageurs d’affaires confrontés au Jet-Lag ? Il y a de bonnes chances pour qu’elle se reconnaisse, elle ou quelqu’un qu’elle côtoie.

– J’ai pas compris…
– Non, pas toi Catherine.

S’appuyer sur les forces du pitch existant

La proposition de valeur ensuite est plutôt bien fichue dans le pitch de Morphée : il y a juste à l’amputer de son saut trop rapide dans la solution. Et peut-être de l’enrichir des suggestions involontaires du panel d’investisseurs :

Il y a une certaine satisfaction à l’utiliser, ça rappelle un objet physique un peu vintage

Frédéric Larcheveque – Membre du panel d’investisseurs

Tu retrouves un peu ton réveil de quand tu étais petit

Catherine Barba – Membre du panel d’investisseurs

Je pense que votre objet il est quand même attachant, on a presque l’impression qu’il est vivant !

Delphine André – Membre du panel d’investisseurs

Il ne reste ensuite plus qu’à ré-assembler le Frankenstein, et le tour est joué ! Dans cette hypothèse, ce que vend Morphée, c’est bien plus que l’objet, c’est sa capacité à identifier un problème et ses enjeux, et à y répondre de façon différenciée, unique et innovante. Le produit en lui-même voit sa valeur grandir avec l’ampleur du problème auquel il répond. Et l’entreprise rassure ses investisseurs éventuels sur sa capacité à se développer au-delà du « tube du moment ».

Vous voulez devenir commercial ? Je vous aide (gratuitement) à construire votre carrière sur des bases saines (et performantes) !


Etude de Cas n°2 – Fish Friender

Voyons maintenant un deuxième exemple, dans lequel ça s’est un peu moins bien passé pour les deux entrepreneurs. Je leur laisse la parole !

Je suis Gregory Tordjeman et je m’appelle Philippe Auriach. Nous sommes les cofondateurs de Fish Friender, la plateforme digitale du monde de la pêche.

Les co-fondateurs de Fish Friender

Voilà pour les présentations.

C’est un loisir qui rassemble plus de 200 millions de pratiquants dans le monde et notamment 3,5 millions en France. C’est la deuxième fédération après le foot.

Philippe Auriach – co-fondateur de Fish Friender

Une nouvelle vision du problème : il y a beaucoup de pêcheurs et ils sont bien plus structurés qu’on ne le pense.

Les pêcheurs avant ce qu’ils faisaient, c’est qu’ils notaient le détail de leurs sessions dans des carnets comme ça. Ils essayaient de comprendre l’influence des facteurs comme la marée ou la Lune sur l’activité des poissons. […] une application qui va permettre à tout le monde de mieux pêcher

Gregory Tordjeman – co-fondateur de Fish Friender

On vient de voir le problème, on file directement dans la solution. Et on enchaîne sur la démonstration (que je vais me permettre d’accélérer)

Les co-fondateurs de Fish Friender

A quoi sert Fish Friender ?

On voit le matériel avec lequel je l’ai fait, en gros on va pouvoir cliquer sur un équipement et voir automatiquement tous les poissons qui ont été faits avec cet équipement par la communauté. On peut scanner le matériel, donc si je me retrouve dans un magasin de pêche je vais pouvoir scanner l’équipement, voir les poissons qui ont été pêchés avec et le meilleur moment pour utiliser ce matériel. C’est une plateforme qui est collaborative et gagnante-gagnante, plus il y a de gens qui s’y mettent et qui postent leurs expériences, et plus on peut en tirer d’informations intéressantes.

Gregory Tordjeman – co-fondateur de Fish Friender

Ça devient un guide de pêche extrêmement précis, selon ce que vous voulez prendre et à quel endroit, quel est l’équipement optimal.

Delphine André – membre du panel d’investisseurs

On arrive à une proposition de valeur : comment relier l’achat de matériel en magasin avec les performances dans la pratique. Bon, plutôt, on aurait pu avoir ici une proposition de valeur sur l’équipement, et une seconde sur le guide de pêche soulignée par Delphine André. Au lieu de ça, on est en fait plutôt dans la présentation de la solution.

[Le produit est trop cool]

Les co-fondateurs de Fish Friender

Produit, produit, produit. Et je vous en passe.

200’000 € ça va être accompagner la sortie du premium sur le marché. On a besoin de recruter des collaborateurs pour analyser ce trafic et l’accompagner sur le marché, et soutenir la partie développement.

Gregory Tordjeman – co-fondateur de Fish Friender

Voilà le plan d’implémentation : ce qui vient ensuite, après l’investissement.

Le débat éthique

– Et alors la philosophie du pêcheur parce qu’il y a un peu des polémiques sur les pêcheurs

– Il y a des bons et des mauvais pêcheurs

– Non mais les pêcheurs en général, ils relâchent le poisson ? Combien de poissons sont rejetables et vivent ensuite ?

– Sur notre plateforme, les gens mettent quand ils relâchent ou pas les poissons. Et on a 85% de poissons qui sont relâchés !

– Dans quel état ? Ils sont un peu amochés ? Je me rends pas compte.

– Quand on pêche un poisson, faut pas se voiler la face, il y a un impact, il y a un hameçon. Nous on assume cet impact, dans le sens où à la base, la pêche c’est pour se nourrir. Si le poisson est abimé, on va le conserver, on va le garder.

– Vous dites 85% sont rejetés mais en même temps on sait pas trop dans quel état, on sait pas trop s’il s’en tire véritablement.

Débat entre Gregory Tordjeman et les membres du panel d’investisseurs

On rentre ici dans un débat éthique sur la pêche. Pendant une grosse minute, les deux entrepreneurs perdent la main sur leur pitch, qui dévie sur les chances de survie du poisson relâché.

Attention, moi j’analyse la structure de la présentation commerciale, je ne rentre pas dans le fond du débat !

– Juste une chose, pour vous faire comprendre que les pêcheurs sont les personnes qui contribuent à maintenir les espaces aquatiques.

– C’est comme les chasseurs, c’est les plus grands écologistes de France !

– Oui, mais il y a quand même cette notion de gestion des milieux. En fait l’Agence de l’Eau est quand même financée en grande partie par les redevances des pêcheurs ! Un pêcheur s’il y a pas de poissons, il pêche plus, donc il a besoin de maintenir les écosystèmes.

Echange entre Gregory Tordjeman et Marc Simoncini
Le pitch de Fish Friender n'a pas convaincu Marc Simoncini (euphémisme)
Marc Simoncini et Fish Friender se sont depuis réconciliés sur twitter !

Cet extrait est très intéressant, parce qu’il aurait pu faire une parfaite entrée en matière, adaptée au parterre d’investisseurs. Surtout qu’il s’enchaine bien avec la suite :

Je comprends tout à fait que ça soit pas votre passion, mais il y a 3.5 millions de personne en France dont c’est la passion et 200 millions dans le monde. Donc c’est un loisir qui génère énormément d’emplois, et un business important.

Gregory Tordjeman – co-fondateur de Fish Friender

On va voir que ce qui pourrait ressembler ici à une recontextualisation devrait aussi nous permettre de changer d’angle.

En fait, ce qui se joue ici est encore un cran au-dessus de la structure pure. Il s’agit des trois piliers sur lesquels elle repose :

Eduquer – Adapter – Contrôler  

Une présentation réussie doit éduquer le prospect, et on a vu dans l’étude de cas précédente comment une structure simple y contribue très largement.

Mais elle doit aussi s’adresser à sa cible, et donner l’impression d’être faite sur mesure pour elle. De cette manière, l’orateur va pouvoir contrôler le déroulement de son entretien et garder la main !

Si les deux entrepreneurs avaient fait une petite recherche google avant de se jeter dans la fosse aux lions, ils auraient facilement pu identifier qu’ils allaient au-devant d’un écueil conséquent.

Bon, c’est bien entendu plus facile d’avoir l’air malin après, mais en allant faire un tour sur la page Wikipedia de Marc Simoncini, on voit qu’il est un militant engagé de la cause animale. Et qu’il vient par exemple de faire un don de 250’000 € pour transformer un zoo en refuge pour animaux.

Bien préparer pour pouvoir adapter

Dans une démarche d’adaptation au public – et sans pour autant compter sur son soutien dans le panel – il aurait pu être intéressant de tenter de le « neutraliser » d’emblée. Présenter en introduction l’argument des pêcheurs acteurs de la sauvegarde de l’environnement pouvait peut-être fonctionner à cet effet.

D’un point de vue purement factuel, l’argument de Fish Friender est un peu bancal, parce que d’après mon compte personnel, avec 9€ reversés pour chacune des 790’000 cartes de pêche on est encore très loin d’un pourcentage significatif de financement des agences de l’eau (puisqu’on atterrit autour de 0,3%). Mais en s’attardant sur les chiffres plutôt que sur les ordres de grandeur, il y avait moyen d’apaiser le courroux du fondateur de Meetic.

… qui est Vegan.

Analysons le pitch !

Ceci posé, remontons à l’étage de la structure de la présentation. Et pour moi ici, il y a un autre défaut majeur : Quel est le problème que résout Fish Friender ? Je pourrais l’imaginer et on va voir ça dans un instant, mais factuellement, en classant les différentes phases de la présentation comme on l’a vu tout à l’heure, c’est très, très flou !

Le pitch dure environ sept minutes. 60% de ce temps est consacré au produit d’un point de vue très centré sur les caractéristiques (presque aucune mention d’avantage ou de bénéfices). On a une bonne minute de hors sujet et de débat éthique, et à nouveau ni éléments rationnels, ni impact émotionnel. On pose un problème, et on y répond.

Problème : il est où le problème ?

Seulement franchement, je suis peut-être bête, mais je l’ai pas compris le problème, personnellement. Je cherche d’ailleurs tellement désespérément un problème dans cette présentation que je présente comme tel un élément finalement factuel : il y a plein de pêcheurs, et ils utilisent des carnets.

Il se trouve, qu’en creusant un peu le sujet pour essayer de trouver une façon de désamorcer l’antagonisme de Marc Simoncini, je suis tombé sur une statistique intéressante : 79% des cartes de pêches délivrées en 2017 l’ont été sur internet.

Quand j’entends parler de pêche, je vois un milieu très traditionnel, une activité rurale et la candidature de Jean Saint-Josse pour Chasse Pêche et Traditions à la présidentielle. Alors si on me parle d’un milieu très connecté ou plus de trois quarts des cartes de pêche sont prises en ligne, c’est une sacrée recontextualisation !

Jean Saint-Josse, un mec qui a porté son bon pitch jusqu'à un score honorable à la présidentielle de 2002 !
Oui, je sors les archives.

Le secret du bon pitch : orienter le prospect vers une solution différentiée !

D’ailleurs ça tombe bien – et c’est sans doute pas un hasard – c’est justement ça la valeur ajoutée unique de Fish Friender : une application, donc forcément digitale. Maintenant, compte-tenu de l’aversion potentielle des investisseurs au volet pêche à proprement parler, l’angle qui me parait le plus intéressant pour aborder cette différentiation, c’est celui axé sur le scan de produits en magasin. Déjà parce que ça présente un potentiel business très intéressant – sponsoring des marques de matériel de pêche, publicité ciblée… Ensuite, parce que ça nous permet de raconter une autre histoire.

Admettons qu’on veuille guider l’argumentation vers cet aspect de Fish Friender. On part donc de la recontextualisation des pêcheurs traditionnels en milléniaux bien connectés avec leur époque. On enchaîne en développant les aspects chiffrés de la pêche en France : un nombre de pratiquants en croissance constante sur la dernière décennie, 23% de pêcheurs de moins de 18 ans à qui on offre sans doute du matériel, et un marché très morcelé entre de nombreuses PME, donc propice à être disrupté (histoire de sortir des gros mots).

Construire l’histoire

Pour l’impact émotionnel, on pourrait parler de Mme ToutLeMonde, cherchant un cadeau d’anniversaire pour Jean-Kevin, perdue au milieu d’un rayon pêche très achalandé. Quel moulinet, quel tabouret, quel bob, quelle mouche ? Comment choisir entre toutes ces références ? Le vendeur, dans l’animalerie en plus, il y connait pas grand-chose. Alors forcément, il va la pousser à acheter le truc qui l’arrange ! Parce que bon son truc c’est plutôt les croquettes. Et puis Mme ToutLeMonde elle se rappelle de l’histoire de M. Untel, qui pensait faire plaisir à Brice-Brandon, et qui en fait avait acheté n’importe quoi, du coup le gamin il était triste à Noël…

Je force évidemment le trait, mais trouver une ou deux vraies histoires, étant donné les capacités apparente de l’app, ça me semble tout à fait jouable.

Ensuite, la nouvelle voie s’écrit d’elle-même. Ce que Mme ToutLeMonde veut savoir, c’est si ce moulinet est adapté à la pêche en rivière. Elle veut des retours d’expérience, des commentaires, des avis. Et elle veut être sûre de faire plaisir à Jean-Kevin.

Ce qui permet d’enchaîner sur la solution : grâce à Fish Friender, elle pourrait scanner le code barre de l’article en magasin, voir qui l’utilise dans quel contexte et si les pêcheurs qui en sont équipés en sont contents ! Et d’enchaîner avec le plan des deux entrepreneurs pour offrir le meilleur levier possible à l’investissement des business angels.

Un naufrage évitable ?

Pour conclure, vous voyez qu’à mon sens, il n’y a pas de problème avec le produit ou même le marché de la pêche. Mais obnubilés voire souvent amoureux de leur solution, beaucoup d’entrepreneurs (et de vendeurs au sens large) ont tendance à ne parler que de solutions, perdant au passage tous les non-initiés tout en encourageant les objections.

Alors voilà, est-ce qu’avec le stress des caméras et du prestigieux panel devant eux j’aurais fait mieux que ces quatre entrepreneurs ? Ce serait drôlement immodeste de l’affirmer de façon péremptoire. Leurs exemples m’inspirent, comme on l’a vu, en bien ou en mal sur le plan commercial, mais uniquement en bien sur le plan du courage entrepreneurial !

Et puisqu’on arrive au bout de cet épisode, d’un format assez différent des précédents, j’aimerais vous demander votre avis ! Est-ce que cette approche par étude de cas vous intéresse ? Si oui, venez me le raconter en commentaires ! Pour ne rien rater des prochaines vidéos vous pouvez vous abonner à la chaîne youtube Ingeventes. Bien sûr, vous pouvez toujours aller faire un petit tour sur Apple Podcasts, et me laisser un 5/5 dans la section notes et avis ! Et si ce numéro vous a plu, partagez-le avec un ami, un proche… ou un comptable ! A jeudi prochain.

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