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Biais de représentativité : Quand on fait de l’exception une règle

Mickael Gelabale est joueur de Basket. Jeremy Pied est footballeur. Charles de Gaulle a été le grand chef des gaulois. Et Edith Cresson a été ministre de l’Agriculture, pendant que Jacques Delors était ministre des finances. Est-ce que vous avez remarqué l’aptonymie ? Non je vous rassure, moi non plus je savais pas qu’on appelait ça des aptonymes. En gros, ça veut dire, avoir un nom approprié à sa fonction. Ou encore un nom prédestiné. Alors est-ce que notre nom de famille influence notre carrière ? C’est ce qu’on va vérifier avec le biais de représentativité.

Puisqu’on va explorer un nouveau biais cognitif, ça vous intéresse le dossier complet sur les biais cognitifs appliqués à la vente ?

Biais de représentativité : l’expérience originelle

Le premier à relever la coïncidence entre patronyme et fonction dans la littérature scientifique, c’est le psychanalyste Carl Jung, en 1952. Il notait par exemple, que Sigmund Freud s’était beaucoup intéressé au principe de plaisir. Vous l’avez pas ? Freud / Joie. Bon, il faut avoir pris des cours d’allemand.

Le concept a été repris par Brett Pelham, Matthew Mirenberg et John Jones de l’université d’état de New York. Dans leur étude appelée « Why Susie sells seashells by the seashore« , ils ont rapporté plusieurs faits étonnants.

Dans cinq des dix études de leur recueil, ils ont montré qu’il y avait dans chaque ville un nombre disproportionné de personnes portant un prénom ressemblant au nom de la ville. Des Louis à Saint-Louis, des Charlottes à Charlotteville et à Moncuq, des… Pardon, c’est pas un bon exemple.

Une autre de leurs études a montré une corrélation apparente entre date de naissance et nom de la ville. Par exemple – et pour filer mon clin d’oeil à De Gaulle – à Colombey les DEUX églises, on devrait retrouver plus de personnes nées le 2 du mois.

Enfin, les quatre dernières études rapportaient un lien entre prénom et profession. Le meilleur exemple pour les trois auteurs, était la sur-représentation des « Dennis » chez les dentistes, par rapport aux « Walter ». Deux prénoms, statistiquement aussi probables l’un que l’autre, puisque 0.415% des américains étaient appelés comme ça au moment de l’étude. Et effectivement, il y avait bel et bien deux fois plus de Dennis que de Walter qui triturent des dents.

Les auteurs en ont conclu à une démonstration éclatante de la force de l’implicite, et ça nous produit une théorie rigolote et finalement assez logique !

Sauf qu’elle est fausse.

Les Dennis et les Walter n’ont pas le même âge

C’est Uri Simonsohn, professeur à la Wharton School, qui a trouvé la faille dans ce raisonnement. En regardant d’autres professions que la chirurgie dentaire, il a remarqué qu’il y en avait pas mal, pour lesquelles les Dennis étaient sur-représentés par rapport aux Walter. La raison est très simple : oui, il y a autant de Dennis que de Walter, mais ils ont pas le même âge.

Walter était un prénom à la mode à la fin du 19ème siècle:

Alors que Dennis a connu ses heures de gloire entre 1940 et 1960.

Donc, au moment de l’étude, publié en 2000, les Dennis étaient dans la force de l’âge, et donc sur-représentés dans tous les corps de métier, alors que les Walter étaient de paisibles retraités, s’éteignant peu à peu.

On voit bien que les prénoms n’avaient rien de prédestiné. Dans le même ordre d’idées, pour ce qui est des Louis choisissant d’habiter à Saint Louis, on peut aussi démontrer qu’en fait les parents habitaient là avant. Et que c’est l’ancrage de la ville dans leur cerveau, qui les pousse plus que les autres à appeler leurs enfants Louis.

De manière plus générale, Brian Nosek, un professeur de psychologie à l’Université de Virginie, s’est fait pour spécialité de démonter les mythes et de déboulonner les études infondées.

Avec l’aide de 270 scientifiques, il a reproduit les expériences de 98 études de psychologie. Et il a montré que plus de 65% étaient fausses !

Alors est-ce que tout ce que je vous raconte depuis une vingtaine d’épisode est faux ? Est-ce qu’on est des êtres rationnels et conscients de tout, en fait ?

Le piège du Biais de Représentativité

Rassurez-vous, bien sur que non. On est toujours les bestioles subjectives et pleines de raccourcis que je vous décris depuis plusieurs semaines.

Si on regarde le travail de Brian Nosek d’un peu plus près, on voit qu’il a recruté des scientifiques DANS LE BUT de démonter des expériences. Pas des cobayes innocents, ne sachant pas sur quoi porte l’étude à laquelle ils se soumettent.

Et de la même manière que personne ne se comporte dans un entretien d’embauche comme dans la vraie vie, l’étude de leur subconscient alors même qu’ils sont conscients qu’on l’étudie est forcément faussée.

Au delà de ça, il y a surtout une erreur fondamentale : Nosek, lui aussi, était victime du biais de représentativité.

Pour résumer son approche, il a choisi 98 études, reproduit les expériences (de façon biaisée par son panel), et s’il trouvait pas le même résultat que l’étude de départ, il concluait qu’elle était fausse.

Mais est-ce qu’une seule étude est représentative ? Evidemment que non. Ni dans un sens, ni dans l’autre, d’ailleurs. C’est pour ça que la rigueur scientifique pousse à toujours faire plusieurs tests de la même chose. Et leurs résultats doivent coller entre eux, avant de pouvoir qualifier ce qu’on trouve de preuve.

Le truc c’est que le premier trio de psychologues avait envie de prouver la force de l’implicite, et comme par hasard, il y est arrivé. Et Nosek voulait montrer que la psychologie est une pseudo-science. Et encore une fois, le hasard fait bien les choses, il a réussi.

Quand les travaux de Nosek dénoncent… les travaux de Nosek

Brian Nosek était pourtant bien placé pour savoir que son approche avait un défaut fondateur. Avant de se lancer dans sa propre aventure, il avait fait partie du « Many Lab Replication Project« . L’idée à l’époque, c’était de reproduire 13 études dans 36 laboratoires, avec plus de 6’000 cobayes.

La règle fixée était simple : sur 36 répliques, au moins 35 devaient tendre vers le même résultat, pour qu’on valide l’hypothèse. Et sur les 13 biais psychologiques explorés, 10 ont réussi à passer ce cut, pourtant très exigeant. Ca fait quand même plus de 97% de reproductibilité, ce qui est énorme.

Mais si on inverse la règle en disant que, dès qu’une réplique contredit l’hypothèse, l’hypothèse est rejetée, le résultat est beaucoup plus simple. Les 13 sont à brûler.

Voilà pourquoi, il faut toujours s’interroger sur la représentativité d’une étude, d’un résultat ou d’une théorie. Et je dis ça évidemment dans aucun sous-entendu !

Le biais de représentativité, appliqué à la vente

Bon, vous voyez que jusqu’ici on a parlé science, et rigueur scientifique. Mais toute la beauté de notre matière un peu spéciale, la vente, c’est que les règles sont pas tout à fait les mêmes.

C’est vraiment chouette, que les psychologues, comme tous les scientifiques, doivent démontrer par A+B et avec une reproductibilité de plus de 95% que leurs théories sont justes. Mais si vous aviez un truc, qui vous permet de vendre mieux 90% du temps, vous le mettriez de côté, en disant que c’est pas assez rigoureux ? Evidemment que non.

Certains auteurs de méthodes de vente ont analysé des échantillons incroyables. Par exemple, Neil Rackham a basé son Spin Selling sur 10’000 vendeurs, suivis à travers 35’000 entretiens de vente et 23 pays. Et pourtant, les bonnes pratiques qu’il rapporte – vendre en posant des questions – ne sont meilleures que la moyenne que dans 60 à 70% des cas.

Objectivement, vous devriez suivre son conseil. En moyenne, ça fait de vous un vendeur 32% plus efficace. Mais scientifiquement parlant, ça atteint pas la jauge.

Tester, Itérer, Améliorer

Ce qui est intéressant aussi, avec le bouquin de Neil Rackham, c’est que les gens qui ont travaillé avec lui, ont continué d’explorer le monde de la vente ensuite. Certains, comme Michael Bosworth et Ben Zoldan ont montré que des histoires, utilisées un peu comme des questions, c’était encore plus efficace. Et d’autres, comme Matthew Dixon et Brent Adamson, que de challenger son client apportait encore un sacré gain.

Alors c’est quoi le point commun ? Ils ont formulé des hypothèses, et mis sur pied des tests et des expériences. Et puis ils l’ont fait à petite échelle. Tant que ça avait l’air de marcher mieux que le statu quo, ils ont continué de faire grossir l’expérience et les échantillons. Et au final, ça a formé des nouveaux bouquins, « What Great Salespeople Do » et la série des Challengers.

Je sais pas pour vous, mais moi j’ai pas l’ambition d’écrire un bouquin sur la vente. Ce que je fais par contre, c’est que régulièrement j’essaye de changer mon approche d’un problème ou d’une facette de mon métier. Et de tester cette nouvelle approche. De la comparer à l’ancienne. De garder ce qui marche et de changer le reste. Et ensuite d’itérer et d’améliorer.

Là on fait qu’effleurer la surface, mais il y a des méthodes qui permettent de tirer le meilleur de l’expérimentation rapide ! Et on y reviendra dans pas très longtemps.

Le biais de représentativité : conclusion

Pour aujourd’hui ce qu’on peut dire, c’est qu’il faut se méfier de nos attentes et de nos envies. C’est pas parce qu’on adorerait que quelque chose soit vrai que ça l’est forcément. Et une petite dose de rigueur scientifique fait de mal à personne, surtout si on veut éviter le piège du biais de représentativité !

Ce que je vous propose pour finir c’est une expérience simple. Mon hypothèse, c’est que si vous partagez cet épisode avec un ami, un proche ou un comptable, vous serez plus heureux de 28%. Alors faites-le, et venez me faire vos retours d’expérience en commentaires ! A bientôt.

Vous voulez devenir commercial ? Je vous aide (gratuitement) à construire votre carrière sur des bases saines (et performantes) !


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