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L’engagement : Le moteur secret du pied dans la porte

Je suis pas le plus grand sportif du monde, et je suis pas le plus social des animaux sociaux. Alors quand on me propose d’aller un pratiquer un sport que j’aime pas plus que ça, avec des gens que je connais pas, je suis pas hyper chaud. Pourtant, il y a quelques semaines, je me suis mis au badminton – sport que je considère comme le cousin dégénéré des sports de raquette, avec sa balle qui a des plumes, et je fais ça en Schwizerdütsch, avec des collègues que j’avais jamais rencontré avant. Pourquoi ? Parce qu’on me l’a vendu intelligemment, que j’ai accepté et qu’ensuite je me suis tenu à mon engagement. Et peut être aussi parce que je suis un gogo.

Le sujet vous intéresse ? Et si vous alliez faire un tour sur le dossier complet sur les biais cognitifs appliqués à la vente ?

La puissance de l’engagement : l’expérience originelle

Comment faire manger des abats aux américains ? C’est la question, à laquelle Kurt Lewin a du répondre pendant la 2ème guerre mondiale, restrictions obligent. Et au pays du steak, c’était pas gagné d’avance !

Lewin a donc organisé des conférences, où il invitait les ménagères. Des orateurs brillants venaient expliquer tous les bienfaits des abats, et on distribuait ensuite au public des recettes très apétissantes. Sauf que, ça marchait pas du tout : seulement 3% des cuisinières venues assister à ces cours magistraux se mettaient effectivement à cuisiner les morceaux moins nobles du boeuf.

Le psychologue avait pourtant pris soin de faire une enquête de satisfaction à la fin des séminaires, et les participantes disaient toutes être convaincues par la demi-journée qu’elles venaient de passer. Mais, c’étaient que des paroles, pas suivies d’action.

Lewin a alors changé son format. Au lieu d’une conférence magistrale, il a organisé des réunions avec un animateur. Les arguments et les recettes étaient toujours les mêmes, mais ensuite l’animateur créait une discussion entre les participantes. Elles pouvaient poser des questions et s’échanger leurs meilleures recettes. Enfin, pour clôturer la réunion, l’animateur demandait aux participantes de lever la main si elles comptaient cuisiner des abats dans la semaine. Et cette fois-ci, c’était dix fois plus efficace : 32% des cuisinières intégraient effectivement des abats dans les menus de la semaine.

Pourquoi ? Parce qu’en ayant parlé de la décision, de leurs petits plats futurs et de leurs recettes, elles s’étaient approprié la décision de délaisser un peu les steaks. Il y avait donc un premier engagement : je veux bien étudier la possibilité. Et le tout était ensuite scellé avec l’acte de lever la main, qui plus en est en public : un deuxième engagement, auquel elles allaient se tenir.

L’engagement : une soumission librement consentie

Il y a jamais eu aucune obligation à cuisiner des abats et pas du filet. Mais s’engager, c’est d’abord un acte envers soi-même. Lewin a appelé ça l’effet de gel. On adhère à une décision, pas aux raisons qui nous ont poussé à la prendre.

Tenez, on va déconstuire ensemble mon histoire de badminton.

Comment je me suis engagé à jouer au badminton

J’ai changé de poste il y a six mois à peu près, et donc aussi de manager. Un gars très sympa, et un million de fois plus sociable que moi. Un jour il est venu me voir, en me disant qu’il faisait du sport une semaine sur deux, le mercredi. Et il m’a demandé si je faisais aussi du sport. Moi je vais courir régulièrement avec mes filles, la grande sur son vélo, la petite dans la poussette. Donc, j’ai répondu oui.

Ensuite il m’a dit qu’il y avait un petit groupe qui faisait du sport avec lui, et que si ça me tentait, je pouvais me joindre à eux. L’autiste en moi a râlé très fort, mais j’ai dit oui.

Un peu plus tard, j’ai reçu une invitation dans mon calendrier, venant du coordinateur de ce groupe de sport entre collègues, pour le mercredi suivant. Et j’ai découvert, que le sport de ce mercredi, c’était le badminton. Moi qui aime le tennis et sa balle bien lourde, et qui ai des posters des Paul-Henri Matthieu dans ma tête (référence de vieux et d’alsacien, vous pouvez doublement pas comprendre), j’ai grimacé, mais j’ai accepté.

Là j’ai réalisé que l’invitation était récurrente – toutes les deux semaines – et qu’en fait c’était TOUJOURS badminton. Mais j’avais déjà accepté. Alors j’ai re-grimacé, mais j’ai aussi vu que dans la liste des participants, outre mon chef, il y avait 2-3 gars du marketing que je connais et que j’aime bien, et une fille plutôt sympa des ressources humaines. J’ai pensé très fort que j’étais prisonnier du principe d’engagement, mais on peut pas lutter contre ses biais cognitifs.

Epilogue de mon engagement

Enfin, le mercredi est arrivé. Mon chef était absent, coincé quelque part en Allemagne, les gars que je connaissais du marketing avaient une réunion de service, et la fille des RH avait en fait jamais accepté l’invitation. Je me suis donc retrouvé à jouer au badminton avec des stagiaires que j’avais jamais croisés, et deux gars qui venaient carrément d’un autre bâtiment. Et en toute honnêteté, j’ai passé un très bon moment.

Alors pour vous c’est peut être une anecdote, mais pour moi c’est une aventure !

Si quelqu’un était venu me voir en me disant « tu veux jouer au badminton mercredi, en Schwïzerdütsch avec 5 gars que t’as jamais vu avant et que tu recroiseras jamais après » j’aurais dit non. Sans aucune hésitation. Pourtant, quand je me suis pointé au RDV ce fameux mercredi, c’était ça qu’on me proposait, et je pouvais encore dire non.

Mais mon engagement, construit sur une série de piliers qui ensuite avaient été enlevés, était plus fort que tout le reste.

C’est ce que Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois qualifient de soumission librement consentie. Une soumission particulièrement engageante, qui nous pousse à agir à l’encontre de nos habitudes et de nos goûts. Ou qui nous pousse à des actes qui nous coûtent, et qu’on aurait pas réalisé spontanément.

L’engagement, appliqué à la vente

Mon Dieu, l’engagement, c’est le paradis du vendeur ! Mais peut être pas l’idéal du vendeur éthique. Tout ce qu’on va voir maintenant, c’est un peu sur un fil. Employé avec des mauvaises intentions, c’est pas reluisant. Mais si vous vous en servez dans l’intérêt de votre client, ça peut être une bonne pratique.

Le pied dans la porte

On va commencer par LA technique emblématique de l’engagement, le pied dans la porte. L’idée, c’est de commencer par proposer, offrir ou vendre quelque chose de presque impossible à refuser. Du coup, le client accepte, on met le pied dans la porte (au sens propre si on vend des aspirateurs, au sens figuré sinon), et on déroule derrière notre vente. Comme le client est passé de « personne lambda » à « acheteur », l’engagement a commencé à agir sur lui, il se voit différemment, et il sera plus réceptif.

Le pied dans la porte ça peut aussi être un truc tout simple. Par exemple des études ont montré que de commencer un coup de fil par « Comment allez-vous ? » multiplie les chances de vendre une boite de cookies pour une association caritative par 3. Ce qu’ils ont joliment qualifié de « pied dans la bouche ».

D’après moi, le pied dans la porte ça peut tendre vers le gagnant-gagnant si c’est fait avec de bonnes intentions. Par exemple, des chercheurs l’ont appliqué à l’addiction au tabac. Ils demandaient d’abord à des fumeurs de se passer de cigarette pendant 18h, ce qu’ils refusaient à 96%. Sur un deuxième panel ila vaient une approche différente. Ils proposaient à des fumeurs de participer à une étude sur leur concentration. Une fois qu’ils avaient accepté ce premier pied dans la porte, ils leur disaient qu’ils devraient passer deux séries de tests à 18h d’intervalle. Et une fois qu’ils avaient accepté ce deuxième pied dans la porte, les chercheurs ajoutaient que les fumeurs devraient se passer de cigarette pendant ces 18h. Et là, 91% des cobayes acceptaient la privation.

Le pied dans la porte est aussi qualifié parfois d’amorçage. Dans cette variante, on obtient l’engagement de son interlocuteur petit à petit. Je peux pas demander ma femme en mariage le jour où je la rencontre. Mais en considérant que ce soit mon plan depuis le premier jour, je peux commencer par lui proposer quelque sorties, puis d’habiter ensemble et ainsi de suite jusqu’au « et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ».

Dans le pied dans la porte on propose un petit truc pour en obtenir un plus grand derrière. Dans l’amorçage, ils font tous partie d’un même tout, qu’on dévoile petit à petit.

Le leurre

Allez, on va passer en vitesse du côté obscur de l’engagement. A commencer par le leurre. Cette fois l’idée, c’est d’obtenir l’engagement de son interlocuteur sur une fausse promesse. Et ensuite, de retirer la promesse et de lui proposer ou vendre autre chose, ce qu’il est maintenant susceptible d’accepter, par la grâce de l’engagement.

Par exemple, on met une robe avec une promo énorme en vitrine, mais elle est disponible qu’en XS. Pour la plupart des gens, ce sera trop petit, et on pourra leur vendre d’autres robes, plein tarif.

Le tunnel

On peut aussi proposer quelque chose au bout d’un tunnel, qui soit bien attirant. Par exemple, un nouveau logiciel qui vient d’arriver sur le marché. On parle jamais d’argent, mais on va construire l’engagement en faisant passer le client au travers de toute une série de formulaires et d’étapes. Et quand il va toucher du doigt l’objet de désir, on lui met une dernière barrière : un prix. Et comme il est déjà largement engagé dans le processus, il va grimacer, mais il va sortir le chéquier.

Le « Attendez c’est pas tout »

Dernière technique : vous faites l’article de votre produit. Par exemple, une tourte bio, avec des produits de la région et une recette de grand-mère. Et quand vous sentez que vous avez bien accroché votre interlocuteur, vous annoncez un prix, bien cher. Sauf que vous le laissez pas objecter, vous ajouter tout de suite « Oh pardon, c’est le prix pour deux tourtes. Du coup, je vous en mets deux ? » Et vous empoignez un sachet, en commençant à emballer. Statistiquement, les chances pour que vendiez votre lot sont tout simplement deux fois plus élevées. Par la grâce de l’engagement !

Principe d’engagement : Conclusion

On se tient psychologiquement parlant autant que possible à nos engagements. Même quand toutes les conditions qui ont amené à l’engagement ne sont plus présentes. Cet effet est encore plus fort quand on s’engage en public : ça touche maintenant à notre image et à notre identité, on veut du coup d’autant moins se dédire. Et ça active aussi notre besoin de cohérence : par exemple, quand on s’engage pour une cause, on va se mettre à l’apprécier de plus en plus.

Allez, je vais vous raconter une dernière fois ma vie avant de conclure : quand je sens que je suis pas super motivé à aller courir, je mets dès le matin mes sous-vêtements de sport. Et je dis à ma femme : Ce soir je vais courir. Et ensuite, je laisse mes biais cognitifs faire le reste, vers 17h30 mon engagement me fait enfiler mes baskets, j’emballe ma fille dans une couverture bien chaude et on part courir.

D’ailleurs ça va vous ? Il est mignon ce chaton hein ? Vous voulez gagner un scooter, un grille-pain et une photo dédicacée de Jean-Jacques ? Alors tout ce que vous avez à faire, c’est de partager cet épisode avec un ami, un proche ou un comptable. Ca marche, vous le faites ? Super. Ah mince, on me dit que le dernier scooter vient de partir, et qu’on a pas été livrés des grille-pains, il reste que les photos dédicacées de Jean-Jacques du coup. Mais vous allez partager quand même, pas vrai ? A bientôt.

Vous voulez devenir commercial ? Je vous aide (gratuitement) à construire votre carrière sur des bases saines (et performantes) !


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