C’est con un chat : à part son prénom, qu’est-ce que ça comprend ? Mais avant de trop se moquer, je vais faire appel à vos souvenirs du monde d’avant. Mettons que vous soyez dans une soirée, avec une petite trentaine de personnes et de la musique. Tout d’un coup, quelqu’un prononce votre prénom à l’autre bout de la pièce. Vous ne savez que vaguement qui l’a fait, dans quelle phrase et où. Mais vous l’avez entendu ! C’est ce qu’on appelle l’effet cocktail party.
Vous l’aurez immédiatement, on parle des petits raccourcis de nos cerveaux. Vous voulez en apprendre plus ? Allez faire un tour sur mon dossier complet sur les biais cognitifs, appliqués à la vente !
L’effet Cocktail Party : L’expérience Originelle
Pour remonter la piste de l’effet Cocktail Party, il faut aller dans un endroit où il a en fait ni fête ni cocktail : une Tour de Contrôle aérien. C’est là qu’en 1953 Colin Cherry a essayé de comprendre comment les contrôleurs s’en sortaient avec tous les messages des pilotes, mélangés et recrachés par les hauts-parleurs de la pièce.
C’était une cacophonie monstre, et pourtant, personne ne ratait une information importante : il a donc essayé de comprendre comment.
Il a donc mis au point une expérience, dans laquelle des cobayes étaient équipés de casques, diffusant une bande son différente dans chaque oreille. On leur demandait par exemple d’écouter attentivement ce qu’ils entendaient dans l’oreille gauche, et de le répéter à haute voix, au fur et à mesure. Dans le même temps, Cherry plaçait de temps à autre le prénom des participants au milieu du discours entendu par l’oreille droite.
Au final, les cobayes ne savaient pas expliquer ni de près ni de loin ce qui avait été raconté dans l’oreille qu’ils n’écoutaient pas, mais ils réagissaient quand même à chaque fois qu’on prononçait leur nom. C’est un phénomène que Neville Morray a pu reproduire plus tard dans ses propres études, mettant en évidence qu’il y avait un filtre dans notre cerveau entre les informations importantes et les autres.
Daniel Kahneman explique l’effet cocktail party
Il y a eu depuis pas mal de tentatives pour expliquer l’effet cocktail party, mais je vais faire simple en vous parlant juste des deux dernières.
Deutsch et Norman se sont intéressés à la façon dont notre cerveau traitait une information sur laquelle il ne se concentre pas. Ca peut être la conversation à l’autre bout de la table, si vous discutez déjà avec votre voisin, ou un nouveau pilote parlant à la radio si vous êtes déjà en pleine discussion avec quelqu’un.
En fait, notre cerveau fait son travail normal en arrière plan, en transformant les sons en mots. Mais ensuite, il filtre le tout entre « important » et « pas important ». Et comme ce tri est très sélectif, il faut soit que vous ayez décidé d’entendre quelque chose de très spécifique, soit attendre que quelqu’un prononce votre nom.
Daniel Kahneman a complété ce tableau dans ses propres travaux, en montrant qu’on pouvait avoir des dispositions durables à l’attention (pour notre prénom par exemple, mais aussi pour les signaux sexuels du genre qui nous attire, ou le danger immédiat) et des intentions momentanées (on décide activement d’accorder notre attention à quelque chose.)
D’ailleurs, si les dispositions durables sont automatiques (on entendra toujours son prénom), les intentions momentanées sont ré-évaluées en permanence par notre cerveau. S’il estime que ça lui coûte vraiment trop d’énergie, il va finir par couper le signal. C’est pour ça qu’on peut décrocher en cours ou en réunion de service.
ET C’EST AUSSI POUR CA QUE JE VAIS VOUS METTRE UN PETIT SINGE QUI DANSE POUR DIVERTIR VOTRE MATIÈRE GRISE AVANT DE CONTINUER.
Bref.
Quand une nouveauté passe le filtre de l’effet cocktail party
Vous avez peut être déjà rencontré l’effet Cocktail Party ailleurs. Je vous donne un exemple : il y a quelques années, on a investi dans une Peugeot 4007. C’est pas un modèle très courant, et franchement avant de trouver celle là, j’en avais jamais vu. Enfin, c’est ce que je crois ! Parce que depuis que je roule en 4007, j’en vois partout. Il y en a pas plus qu’avant (au contraire je suppose, vu qu’elle est plus produite depuis un moment), mais elle a passé mon filtre, maintenant je la remarque.
De la même manière, j’avais à une époque un collègue de bureau qui chantonnait toute la journée. On a été dans le même bureau pendant presque 3 ans, et pendant facilement 2 ans et demie, je m’en suis pas rendu compte. Par contre, à partir du jour où je l’ai remarqué, j’entendais plus que ça ! Et ça me rendait dingue, j’aurais donné cher pour que mon cerveau re-filtre ce son.
C’est d’ailleurs plus ou moins toute l’intrigue de l’épisode 7 de la saison 7 de How I Met Your Mother. Kevin explique au groupe qu’on sort toujours d’une manière ou d’une autre avec ses parents, et du coup ils se mettent tous à le réaliser, alors qu’ils le voyaient pas du tout avant.
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L’effet Cocktail Party appliqué à la vente
Il y a quelques années, des journalistes du Guardian ont mené une expérience. Ils voulaient mesurer à combien de publicités on était exposés chaque jour dans la rue, et combien traversaient nos filtres. C’était pas brillant pour les publicitaires : on retient moins de 1% de ce qu’on voit.
Du coup c’est tentant et vous me voyez venir : comment est-ce qu’on peut utiliser l’effet cocktail party pour s’infiltrer derrière les barrières de notre attention ? Bingo, en s’adressant à nous par notre prénom. C’est pas très compliqué de nos jours, il suffit de collecter quelques données.
Sauf que d’abord, la pratique est mal vue. Donc, on va retenir l’accroche commerciale, mais on va va la repousser avec une grimace. Et en plus, c’est risqué, parce que s’il y a bien un truc qu’on déteste, c’est de se faire appeler Charles quand on s’appelle Jean-Jacques (et sans doute encore plus inversement).
Tenez, faites l’expérience, allez faire un petit tour sur www.google.com/settings/u/0/ads et regardez ce que Google sait sur vous. Vous devriez comme moi trouver des trucs parfaitement justes, et d’autres assez étranges. Par exemple, Google connait mon âge et la plupart des mes hobbys, mais il m’identifie aussi comme un fan de Wish ou des bars et de la vie nocturne.
Du coup, si quelqu’un me cible en utilisant un « hé, tu aimes les Centres d’intérêt féminins, pas vrai ? » on est de retour à la case départ, ça va pas m’intéresser. (et je vais me poser des questions)
Un potentiel intéressant
Pourtant c’est une opportunité rare. D’après une étude IPSOS, 38% des gens ne croient pas les pubs (ça va, on a encore un peu de marge par rapport aux journalistes et aux politiques). Or, avec un twist tout simple, on peut rendre une pub presque trois fois plus crédible, si on en croit une étude de Richard Shotton. Au lieu de donner une statistique vraie, mais générique, on peut la localiser.
« Cette offre fait gagner 100€ aux habitants de la Creuse ! » Si vous habitez effectivement dans la Creuse, vous allez relever l’info grâce à l’effet cocktail party. Et comme votre cerveau croit ce à quoi il est attentif, il y a des chances pour qu’il se laisse convaincre !
Dans la vente B2B, ce qui se rapproche le plus de cette situation, c’est quand on cherche à entre en contact avec un nouveau prospect. Il va falloir briser son mur d’indifférence polie. Et c’est là qu’utiliser un élément fiable qui lui parle, c’est sans doute une bonne tactique pour passer son filtre.
L’armée utilise ce truc depuis plus d’un siècle
D’ailleurs, vous vous êtes jamais demandés comment l’armée anglaise s’y prenait, pour envoyer des millions de volontaires se faire mitrailler pendant la première guerre mondiale ? Ils ont utilisé une pub simple, copiée 40 ans plus tard par les américains :
Ca s’adresse pas à n’importe qui. C’est pas générique, même au milieu de centaines d’affiches. Cette pub est pour vous, et vous allez la relever grâce à l’effet cocktail party. Vous remarquerez que j’ai jamais dit qu’il vous voulait du bien !
Effet Cocktail Party : Conclusion
Passer les filtres entre notre collecte inconsciente d’informations et notre attention, c’est pas toujours évident. Il y a des choses qui le feront toujours automatiquement, comme votre prénom. Et aussi quelques-uns de vos principaux centres d’intérêt… ou des bruits les plus désagréables faits par votre voisin de bureau.
Allez, je vais conclure en appliquant la méthode de Lord Kitchener. J’ai besoin de vous ! Partagez cet épisode avec un ami, un proche ou un comptable ! A bientôt !
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