Je sais pas pour vous, mais moi j’ai jamais réussi à répondre correctement au Burger de la Mort, l’épreuve finale du Burger Quiz ! A chaque fois c’est la même histoire. Je me rappelle des premières réponses et des dernières, mais jamais de celles du milieu. Apparemment je suis pas le seul, ça porte même un nom : l’effet de récence.
Vous retrouverez ce biais cognitif et bien d’autres dans mon guide ultime des biais cognitifs, appliqués à la vente !
Mise en évidence de l’effet de récence
Il faut remonter à 1885 pour trouver la première trace de l’effet de récence. Cette année là, Hermann Ebbinghaus publie son best-seller qu’on a évidemment tous lu : Über das Gedächtnis. Blague à part, cet ouvrage constitue un sacré pas en avant dans la compréhension du fonctionnement de notre mémoire.
En expérimentant sur lui-même, Ebbinghaus a mis en évidence un phénomène intéressant : on retient mieux les premiers et les derniers éléments d’une liste, ce à quoi il a donné deux noms, l’effet de primauté (dont on a déjà parlé) et l’effet de récence.
Il faut ensuite attendre 1962 et les travaux de Bennet Murdoch, pour en apprendre un peu plus. Dans ses expériences, Murdoch a soumis à deux panels des listes de respectivement 10 et 40 mots. En les interrogeant ensuite sur les mots qu’ils avaient retenu, il a mis à jour trois phénomènes.
Tout d’abord, les premiers mots cités étaient toujours les derniers de la liste. Ensuite, deuxième phénomène, c’étaient aussi ceux qui restaient le plus en mémoire, puisque plus de 70% des participants s’en rappelaient. Et enfin, si les mots du milieu passaient souvent à la trappe, les premiers étaient presqu’aussi souvent cités que les derniers. On reconnait bien, encore une fois, les effets de récence et de primauté.
Différence d’impact entre effet de récence et de primauté
Là où ça se corse un peu, c’est que si on laisse du temps entre l’énoncé de la liste et le moment où on nous demande de nous en rappeler, les résultats changent pas mal. Tout d’un coup, on se rappelle nettement moins des derniers mots, alors que les premiers sont toujours bien ancrés.
Tiens d’ailleurs, vous pouvez faire l’expérience chez vous : trouvez un cobaye et énoncez lui une liste de quinze mots. Ensuite proposez lui une distraction comme par exemple, compter trois par trois et à l’envers (3, 2, 1, 6, 5, 4, 9…). Après l’avoir laissé compter un moment, demandez-lui de vous recracher votre liste de mots. Je vous parie qu’il se souviendra des premiers, et pas des derniers.
La raison est simple : autant l’effet de primauté ancre les premières informations obtenues dans notre mémoire à long terme, et colore la suite de notre perception, autant l’effet de récence nous fournit en fait une sorte de mémoire-tampon, qui retient les événements les plus récents mais s’efface en permanence pour faire de la place à toutes les nouvelles choses qui pourraient arriver.
Il faut ajouter à ça qu’il y a une limite, à ce que cette mémoire vive peut emmagasiner. On parle généralement de 4-5 informations : vous pourrez retenir à court terme un numéro de téléphone, mais déjà plus votre clé Wifi.
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Impact de l’effet de récence sur notre perception
Alors, est-ce qu’il serait pas un peu insignifiant, cet effet de récence ? Ben attendez un peu avant de le juger, parce qu’on va voir plusieurs cas où il est tout sauf anecdotique.
Par exemple, ceux qui suivent un peu le foot connaissent ce marronnier, il y a discussion tous les ans pour savoir qui décrochera le Ballon d’Or. Théoriquement, ce prix récompense le meilleur footballeur d’une année calendaire, mais en pratique si un des favoris marque un quadruplé dans la dernière ligne droite des votes, ça va souvent le faire gagner.
Dans la même veine et toujours dans le monde du sport, le débat fait rage pour savoir si LeBron James est le plus grand basketteur de tous les temps. Et si c’est Roger Federer ou Rafael Nadal, le plus grand tennisman de tous les temps.
Et je vous parle même pas de Martin Fourcade qui nous a complètement fait oublier Raphael Poirée ! (si vous avez pas la référence, vous faites pleurer mon petit coeur de fan de biathlon)
En pratique c’est des grands champions c’est sur, mais c’est avant tout ceux qu’on a vu à l’oeuvre le plus récemment, et ça à tendance à nous biaiser par effet de récence.
La science de l’Eurovision et du Patinage Artistique
Vous me direz tout ça c’est subjectif, alors je vous propose de regarder une vraie étude bien sérieuse pour enfoncer le clou. En 2005 Wändi Bruine de Bruin – je suis carrément certain que je le prononce mal – a étudié les classements des championnats d’Europe de patinage artistique de 1994 à 2000. Ce qu’elle a clairement mis en évidence c’est une amélioration constante de la note des participants position par position, en moyenne sur l’ensemble de son échantillon.
Pour faire plus simple : plus vous passez tard, plus votre note est bonne.
Dans cette étude elle a mesuré le même phénomène mais cette fois dans une compétition à l’impact géopolitique encore plus marqué : l’Eurovision. En utilisant les 6 éditions entre 1998 et 2003 la chercheuse a calculé l’équation de la courbe croissante des points en fonction de l’ordre de passage. Et elle a ensuite vérifié sa corrélation sur les 47 éditions entre 1957 et 2003. Là encore pas de doute : plus vous passez tard, plus vous aurez une bonne note.
On voit donc que l’effet de récence est certes limité dans le temps – puisqu’il finira toujours par y avoir un événement plus récent qui viendra le remettre à zéro. Mais n’empêche, si une décision doit intervenir tout de suite après exposition à cet événement, ce biais cognitif est drôlement puissant.
L’effet de récence, appliqué à la vente
On a déjà vu que pour tirer parti de l’effet de primauté, il vaut mieux placer ses meilleurs arguments au début. Quand on garde pas le meilleur pour la fin, on colore la perception que se fait notre interlocuteur de la suite de ce qu’on lui raconte, ce serait dommage de s’en priver !
L’avantage de cette stratégie, c’est qu’on maximise les chances qu’il retienne les points clés, sur le long terme.
Le truc c’est qu’il pourrait bien croiser un donneur d’ordre dans le couloir, directement après notre entretien. Et à ce moment là, par la grâce de l’effet de récence, il va spontanément d’abord se rappeler des dernières choses qu’on lui a dites et ensuite seulement des premières. Pour ce qui est du milieu, il aura tout oublié depuis un bail.
En fait il y a une petite astuce toute simple qui permet de tirer le meilleur des deux biais cognitifs combinés : répéter à la fin de l’entretien les points forts qu’on a utilisé au début. Du coup là, c’est le jackpot, puisqu’on place nos meilleurs arguments à la fois dans les mémoires à court et long terme de notre prospect.
Pour aller plus loin
Cette astuce devrait vous rendre bien des services, et elle se ramène plus ou moins à la bonne vieille structure sandwich. Vous placez vos meilleurs arguments au début et à la fin, et les éléments secondaires – comme par exemple les aspects pratico-pratiques au milieu.
Mais au delà de l’astuce, il y a des méthodes qui vont renforcer notre impact, comme par exemple de raconter des histoires ou de canaliser la construction d’une conviction dans l’esprit de notre interlocuteur. Les histoires se retiennent et se transmettent depuis des millénaires, parce qu’elles suivent parfaitement la logique de notre cerveau. Et la meilleure personne pour nous convaincre, c’est encore nous-mêmes !
Je vous ai déjà parlé de tout ça sur le podcast, je vous remets les liens en description de cet épisode.
Conclusion
L’effet de récence ne dure qu’un temps. Comme un clou chasse l’autre, il y aura toujours un événement plus récent. Mais si on doit juger d’un contenu juste après y avoir été exposé, ce biais cognitif a une influence tout sauf négligeable. Et qui sait, peut être qu’un jour la France regagnera l’Eurovision, grâce à son ordre de passage !
Tiens d’ailleurs, tant que vous vous rappelez de quoi je viens de vous parler, profitez-en pour partager cet épisode avec un ami, un proche… ou un comptable ! Et surtout j’ajoute plus rien, sinon vous allez oublier de le faire. A bientôt !
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