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Mémoire Sensorielle : Le secret de la Madeleine de Proust

Il y a quelques semaines, au début du deuxième confinement, je suis allé faire les courses. Passionnant hein ? Non mais attendez, c’est pour poser le contexte. En me garant sur le parking, j’ai remarqué qu’ils avaient installé et allumé les décorations de Noël. Et bêtement, je me suis mis à sourire. Je poussais mon chariot, joyeusement. Et cette petite bulle de bonheur, je la devais à un phénomène tout simple : la mémoire sensorielle.

Vous voulez en apprendre plus sur les biais cognitifs ? Y en a tout un dossier !

Il y a 5 grands types de mémoire

En fait, on a pas UNE mémoire, mais cinq types qui eux mêmes se redivisent ensuite.

Des mémoires inconscientes et rationnelles…

On a d’abord une mémoire à court-terme, une sorte de mémoire tampon. On l’appelle parfois mémoire de travail, et on en a déjà parlé plusieurs fois. C’est cette mémoire qu’on utilise pour se rappeler d’un numéro de téléphone le temps de le composer. Et elle se vide au fur et à mesure, ce qui mène à l’effet de récence.

On a ensuite la mémoire sémantique. Une mémoire qui retient les faits, les mots et les concepts théoriques. C’est un peu notre bibliothèque interne. C’est elle qui sait que si je fais un signe de la main, ça veut dire bonjour. Et c’est encore elle qui associe tous les mots que je suis en train de prononcer pour que ça ait du sens. Bref, c’est la plus rationnelle de toutes nos mémoires !

Troisième type : la mémoire procédurale. Celle là est grandement inconsciente, et à très long terme. C’est elle qui sait comment on marche ou on respire. C’est encore elle qui enregistre nos habitudes et les reproduit. Et en dehors des maladies dégénératives comme Allzheimer, elle est quasi indestructible.

… et des mémoires émotionnelles

Maintenant on va s’approcher du phénomène qui nous intéresse, avec la mémoire épisodique. Pour simplifier, c’est la mémoire de notre cerveau, vautré dans son canapé, qui regarde le film de ce qui nous arrive tous les jours, en grignotant du pop-corn. Vous vous rappelez de la batte de Negan ou de la fin de Friends, lui il se rappelle de la fois où vous avez embrassé Justine Dupont sur le port de Cancale ou de la première fois que vous avez pris votre fille dans vos bras. Mais attendez, on va y revenir dans une minute !

Avant ça, voyons le cinquième type : la mémoire sensorielle. Chacun de nos sens est capable d’une forme de cette mémoire. Quand je vois Jean-Jacques, ma mémoire visuelle sait que c’est Jean-Jacques. Quand ma fille me dit « papa » au milieu de 15 autres enfants, ma mémoire auditive la reconnait. Et ainsi de suite pour le goût, le toucher et l’odorat.

Comment fonctionne la mémoire sensorielle ?

La mémoire sensorielle, c’est un phénomène à géométrie variable. Suivant le sens que vous développez le plus, la mémoire associée va elle aussi être plus ou moins puissante. Par exemple, ceux qui s’appuient beaucoup sur la vue pourront prononcer cette phrase très cinématographique « je n’oublie jamais un visage ». Moi par contre, ce serait plus le son, si ma fille chantonne un truc, je vais l’avoir en tête pendant deux jours.

Sauf que voilà, la mémoire sensorielle, c’est en fait une mémoire de court-terme. Pour la vision on est pas loin de l’instantané en termes de capacité tampon. Et pour l’audition, on peut retenir un truc à peine plus long : à peu près la longueur du logo sonore décathlon.

Alors comment est-ce que c’est possible ? Comment on peut retenir à long-terme un visage, si en fait notre mémoire sensorielle l’oublie en un rien de temps ?

Pour comprendre ce paradoxe, il faut qu’on se penche sur un de nos sens à la puissance insoupçonnée : l’odorat.

La mémoire sensorielle de la Madeleine

C’est l’histoire d’un écrivain qui mange une Madeleine en buvant du thé. Et la première bouchée de sa Madeleine a un goût incroyable, extraordinaire, divin. Ensuite, ça s’évapore, les bouchées suivantes c’est juste une Madeleine et de l’eau chaude aromatisée.

Vous la connaissez sans doute cette histoire, c’est celle de la Madeleine de Proust. Proust la raconte délicieusement dans Du côté de chez Swann. Il raconte comment, en fait, cette Madeleine l’a transporté dans son enfance, quand sa tante Léonie lui en tendait un morceau le dimanche quand il rentrait de la Messe. Cette Madeleine l’a ramené à Combray, des décennies en arrière. Et surtout cette Madeleine lui a rappelé des émotions et des souvenirs de personnes disparues depuis des années.

Je parle d’odorat, parce qu’en fait, notre goût est grandement dicté par l’odorat. Le goût tout seul, il détecte juste si quelque chose est salé, sucré, acide, amer ou umami. Si, vraiment, ça existe, mais je vais partir sur une tangente. Ce qui fait toute la saveur de la saveur en fait, c’est toutes les nuances subtiles que rajoute l’odorat.

En fait ce qui se passe, c’est que quand on mange quelque chose, notre mémoire sensorielle de l’odorat, appelons ça notre mémoire olfactive, joue au Memory avec notre mémoire épisodique.

mémoire sensorielle et mémoire episodique jouent en quelque sorte au memory

La mémoire sensorielle joue au Memory

Accrochez-vous, vous allez voir, c’est moins compliqué que ça en a l’air.

On goûte quelque chose. La mémoire olfactive le retient dans son tampon de court-terme. Elle appelle la mémoire épisodique en lui disant : regarde, j’ai cette image. Là, la mémoire épisodique regarde dans son jeu et vérifie si elle a la même image. Si elle l’a pas, la partie s’arrête là, et on continue de manger comme si de rien n’était.

Mais si la mémoire épisodique réalise qu’elle aussi elle a cette image, alors elle renvoie à la conscience la chose qui s’est passée quand elle l’a enregistrée. Et cette chose, comme chez Proust, c’est pas forcément un épisode très clair, ou un souvenir très articulé. C’est avant tout une émotion.

En fait, l’émotion c’est le vecteur qui permet de transférer un instantané dans la bibliothèque de long-terme. Plus cette émotion sera forte, et plus elle aura de chances d’être enregistrée.

L’hippocampe, la tour de contrôle de la mémoire épisodique

Cet enregistrement, il se fait dans l’hippocampe. Et ce détail a son importance, parce que l’hippocampe c’est un peu le GPS de notre cerveau, c’est lui qui enregistre, outre la mémoire, notre position dans l’espace.

Pour simplifier énormément, nos sens rapportent des faits depuis leurs mémoires respectives. Et cette information circule sur les autoroutes du cerveau. Or, les autoroutes des sens passent à côté de l’hippocampe. Du coup, quand des émotions fortes signalent à notre matière grise qu’il y a une info en cours, digne de son attention, les rocades au niveau de l’hippocampe s’ouvrent, et il commence à retenir ce que racontent les sens.

D’ailleurs il y met sa petite touche, il prend la mémoire sensorielle, il lui accole des informations de temps et d’espace, et il l’archive.

Et suivant la force et le type de l’émotion, il nous la rejouera à sa manière, le jour où son jeu de mémory collera avec celui d’un de nos sens.

Par exemple, c’est pas très glorieux, mais j’ai beaucoup de mal à boire du pastis. Si je trempe mes lèvres dedans, ma mémoire épisodique me renvoie la soirée de ma première cuite.

De la même manière, quand j’entends une rediffusion des Grosses Têtes, je me rappelle à quel endroit j’étais, quand j’ai entendu cet extrait pour la première fois, pendant mon jogging.

Et à chaque fois que je passe devant le Presbytère de la Collégiale St Martin à Colmar, je me rappelle que c’est là qu’avec mon pote Jérôme on ramenait les clés de l’orgue, quand le sacristain nous a dit d’entrer pour venir voir les Tours Jumelles en feu à la télé le 11 septembre 2001.

Oui, j’étais un ado à problèmes.

Noël, un terrain propice

Bon, revenons à nos décorations de Noël. Pourquoi est-ce que c’est un vecteur de joie ? Tout simplement parce que de tous les moments de l’année, c’est probablement celui où on a la plus forte probabilité de rencontrer des émotions fortes. Qui dit fêtes dit souvent famille, cadeaux et père noël quand on est petits, et des souvenirs avec des générations qui ne sont peut être plus là aujourd’hui.

Du coup, la probabilité est forte pour qu’un élément de mémoire sensorielle vienne rencontrer son double dans la mémoire épisodique. Et c’est comme ça qu’on vit des petits bonheurs simples, au détour d’une allée de supermarché.

D’ailleurs, ces éléments ne travaillent pas en isolation : si on combine une décoration de Noël avec une odeur de vin chaud et une chanson sortie tout droit d’une des multiples comédies romantiques de Noël, on multiplie les chances de gagner au mémory !

La mémoire sensorielle, appliquée à la vente

Bon allez, on sort de notre bulle de barbapapa, pour parler commerce. Et on va commencer, pour une fois, en parlant B2C.

Si on regarde toutes les pubs depuis des décennies, on remarque une grande constance à essayer de jouer multicanal sur nos sens. A commencer bien sur par la musique : je vous ai déjà cité Decathlon, mais il y en a une brouette. Tenez, vous reconnaissez ça ? Ou encore ça ?

Ce phénomène n’est pas récent du tout : c’est la signature par exemple des camions de glaces avec leur carillon. Suivant le profil de la marque, l’impact peut être directement émotionnel, comme par exemple ce logo sonore. (Si vous le reconnaissez pas, vous êtes trop jeune.)

Ou alors, en jouant sur la répétition, une marque peut arriver à l’ancrer en vous via la mémoire de travail, voire la mémoire procédurale s’ils arrivent à vous le faire chanter ou siffloter.

Parfois, la musique peut être une incitation indirecte : on vous diffuse de la musique bavaroise au rayon boissons, et vous allez vous mettre à acheter de la bière et du vin allemand. Pour peu qu’on remplace cette musique par un peu de musette, et vous allez plutôt partir sur du beaujolais. J’invente rien, il y a des études qui ont montré tout ça !

Dans le même ordre d’idées, vous aurez aussi les boulangeries qui diffusent une odeur de pain frais autour de leur échoppe, ou encore la vendeuse qui vous fait toucher le tapis ou la jupe que vous envisagez.

Et dans le B2B ?

Dans le commerce B2B, l’utilisation la plus directe de la mémoire sensorielle, elle se trouve dans les présentations. Plutôt qu’un powerpoint chiant et bardé de texte, on peut aller vers des images – et par pitié pas les bonhommes clipart vus et revus où les businessmen en costumes qui serrent des mains. Plutôt sur de l’émotionnel, en associant les points clés de la présentation à des visuels forts.

On peut aussi montrer de la vidéo, un son d’une référence client, et rien n’interdit hors période CoVid d’apporter des croissants et leur odeur caractéristique.

L’idée, pour être mémorable, c’est de jouer sur le plus de canaux possibles. Si c’est bien fait, on va toujours en trouver un qui soit vecteur d’émotions !

Mémoire sensorielle : Conclusion

Alors, est-ce que tout ce qu’on vient de voir relève complètement du biais cognitif ? Ca se discute, surtout parce que la Madeleine de Proust est plus connue que les expériences de Von Restorff ou de Zeigarnick – dont il faut que je vous parle, rappelez-le moi. Du coup, on a tendance à assumer ouvertement la subjectivité de notre mémoire.

Mais ça appelle aussi à une certaine humilité : on ne fait encore qu’effleurer la surface du fonctionnement de notre cerveau. Ce que je vous racontais sur l’hippocampe, c’est des avancées récentes de la science. Et autant on a pu démontrer que le lien fonctionne effectivement comme ça pour l’audition, autant pour les autres sens c’est encore des hypothèses !

Alors pour conclure, j’aurais une petite recommandation de prudence pour les publicitaires et autres communicants. Oui, les chansons ça marche, pour imprimer notre mémoire. La plupart du temps c’est un canal en or pour exploiter la mémoire sensorielle !

Mais notre hiérarchie cognitive ça reste une pyramide. Le rationnel tout en bas, l’émotionnel au milieu et l’identitaire en haut.

Du coup, même si vous arrivez à véhiculer l’émotion avec le son, il faut pas oublier que si c’est vraiment trop ridicule, on va devoir s’en désolidariser au niveau identitaire. Et je dis pas ça UNIQUEMENT pour le LipDub de l’UMP en 2010 ou son cousin éloigné de Décathlon St Dié. On peut pas toujours taper sur les mêmes !

Je vais vous en proposer un qui est un peu plus sur le fil. En 2012, Coop a créé un groupe – les Sons of Nature – et une chanson – I Love (BIO BIO). Si vous l’avez jamais entendu, c’est que vous êtes pas assez Suisses !

Alors je vous laisse décider : cool ou ringard ?

Et évidemment, si vous avez du mal à trancher, vous pouvez demander de l’aide à un ami, un proche ou un comptable ! A bientôt.

Vous voulez devenir commercial ? Je vous aide (gratuitement) à construire votre carrière sur des bases saines (et performantes) !


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