Est-ce qu’on perçoit notre environnement tel qu’il est, ou plutôt tel qu’on voudrait qu’il soit ? Vous avez quatre heures ! Non, je vous rassure, je me suis pas encore mis à la philo. On va voir aujourd’hui que nos envies aiment bien jouer avec la réalité. Normalement on appelle ça la vision désidérative, mais comme c’est un nom inutilement compliqué, je vous propose d’appeler ça le biais du voeu pieux.
Retrouvez tous les autres biais cognitifs de cette série sur cette page récapitulative.
Voeu pieux : l’expérience originelle
La première mise en évidence du biais du voeu pieux date de 1947. Jerome Bruner et Cecile Goodman, deux psychologues de l’université de Harvard, ont mené une expérience sur deux panels d’enfants.
En jouant sur les réglages d’un projecteur, les enfants devaient créer un rond lumineux de la même taille que cinq objets qu’on leur avait demandé d’observer. Pour le premier groupe, ces objets c’était des pièces de monnaie, alors que pour les autres, c’était des ronds en carton de la même taille que les pièces.
Résultat, les enfants qui reproduisaient les ronds en carton faisaient des ronds lumineux presque pile poil de la bonne taille, puisqu’ils étaient même pas 2% trop grands. Pour ceux par contre qui devaient reproduire les pièces de monnaie, ils faisaient des ronds de lumière trop grands de 30% en moyenne. Leur erreur était d’ailleurs proportionelle à la valeur des pièces : plus elles valaient cher, plus les enfants surestimaient leur taille.
Là où l’expérience prend une dimension un peu cruelle, c’est que dans chaque groupe, la moitié des enfants venait des banlieues pauvres de Boston, l’autre moitié des quartiers riches du centre. Et si ça ne changeait rien pour ceux qui jouaient avec les ronds en carton, les enfants les plus pauvres surestimaient deux fois plus la taille des pièces de monnaie que les enfants riches.
Ce que ça montre, c’est que le désir qu’on a pour quelque chose déforme la façon dont on l’évalue. Comme les enfants – et surtout les plus pauvres – avaient envie des pièces de monnaie, ils les voyaient plus grandes, par voeu pieux.
Faites l’expérience chez vous…
Bon, la théorie ça va un moment, on va plutôt reproduire ensemble une expérience de David Dunning et Emily Balcetis.
Pour commencer, je vais vous montrer deux images :
A gauche, plein d’argent et le chiffre 13, à droite une décharge et la lettre B.
Maintenant, regardez l’image suivante et dites tout de suite à voix haute ce que vous lisez :
Si vous êtes comme le panel des deux psychologues des universités de Cornell et de New York, vous avez lu un 13. Sinon, c’est que vous êtes plus attirés par les décharges que par l’argent !
Dans la même veine, Dunning et Balcetis ont aussi réalisé des expériences sur une illusion d’optique qu’on peut voir soit comme un phoque, soit comme un cheval : vous verrez toujours spontanément l’animal associé au préalable à quelque chose de positif et qui vous fait envie.
Toujours dans cette série de tests, les deux chercheurs ont demandé à un panel de cobayes d’estimer leur distance vis à vis d’un billet de 100$. Ils ont coupé le groupe en deux : on disait aux premiers qu’ils pouvaient gagner le billet, et aux autres que le billet appartenait aux psychologues. Résultat, ceux qui espéraient remporter les 100$ voyaient le billet 13% plus près d’eux que les autres !
… et jouez au biais du voeu pieux avec vos enfants !
Allez, je vais vous parler d’une dernière expérience, cette fois c’était un jeu. Les participants devaient lancer un sac de haricots sur un bon d’achat, placé au sol devant eux. Il y avait des bons d’achat de 25$ et d’autres de 0$. Et si les cobayes atteignaient leur cible, ils gagnaient le bon d’achat.
Bilan ? Ils atteignaient les bons d’achat de 0$ presque à chaque essai, alors qu’ils rataient ceux de 25$, parce qu’ils tiraient trop court de 22 cm en moyenne. Pourquoi ? Tout simplement parce que comme ceux-la, ils voulaient vraiment les gagner, ils les voyaient plus près qu’ils ne l’étaient.
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Le biais du voeu pieux, appliqué à la vente
Alors oui, je vous ai pas expliqué les mécanismes qui expliquent le voeu pieux. En fait, il y a plusieurs hypothèses, mais pour l’instant aucune preuve formelle qu’il y en ait une qui soit plus valable qu’une autre. Donc, on va se contenter du constat empirique : ce biais existe, et c’est assez important de le savoir.
Déjà, parce qu’on peut se surveiller.
Un travers courant qu’on a, dans la vente, c’est de tomber amoureux de notre produit, service ou solution. Après tout c’est humain, on en parle tous les jours, on a vu ce qu’il est capable de faire pour nos clients. Du coup on l’adore et à force, on le surestime.
On en parle, au lieu d’écouter les problèmes d’un prospect. On le pousse, alors qu’objectivement, ça répond pas au vrai problème. Bref, on en devient vraiment trop subjectif.
Dans ces moments là, ce qu’il y a de bien, c’est qu’il y a une solution simple qui remet la tête à l’endroit. Mais si, on en a déjà parlé. Vous voyez pas ?
Aaah, ça détend hein ? Faites comme dit le monsieur, et écoutez. En repassant du côté du problème, ça devrait dégonfler votre biais du voeu pieux vis à vis de votre produit.
Le problème, un voeu pieux ?
Après, il faut faire attention aussi au problème. Parce que là encore, ça peut être très tentant de l’exagérer. On a tellement envie que notre prospect soit pile poil dans notre cible, que le biais du voeu pieux peut altérer notre jugement.
Dans ces cas là, vous pouvez penser à toutes les expérience que je vous ai déjà citées, ou encore à celle dans laquelle des psychologues ont demandé à des cobayes d’évaluer la taille d’un brownie au chocolat. Comme d’habitude, il y avait deux groupes : un premier panel avec des gens au régime, et un panel témoin.
Et évidemment, les cobayes au régime ont vu le brownie plus gros de 27% en moyenne. Et je vous parle pas de celle dans laquelle des gens assoiffés voyaient une bouteille d’eau 23% plus proche que des gens qui venaient de boire.
Je crois que vous avez saisi la mécanique.
Conclusion
Le biais du voeu pieux nous joue des tours, en faussant notre perception de la perspective des choses. Un truc qui fonctionne bien pour le contrer, c’est d’utiliser l’expérience des bons d’achats de 25$ qu’on pouvait gagner en jetant des sacs de haricots dessus comme une métaphore.
En les voyant plus près qu’ils ne l’étaient, les cobayes rataient des cibles faciles (puisque pour rappel, ils touchaient tous les bons d’achats à 0$). Alors vous faites pas avoir, restez objectifs.
Et comme vous adorez cette série sur les biais cognitifs, vous avez peut être l’impression que tous vos amis, proches ou comptables la connaissent déjà. Sauf que, c’est probablement pas encore le cas : ne les laissez pas en plan, partagez largement cet épisode ! A bientôt.
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