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Biais de négativité : Pourquoi on voit tout en noir, depuis Cro-Magnon ?

Il existe peut-être un univers alternatif dans lequel on est tous des êtres positifs, dopés aux bonnes nouvelles et pleins d’optimisme. Le problème, c’est que le Cro-Magnon qui portait ces gènes s’est probablement fait bouffer par un tigre aux dents de sabre il y a 40’000 ans. Et du coup, malgré les millénaires d’évolution, dans notre univers à nous on a un héritage bien différent : le biais de négativité.

Vous l’aurez remarqué, on explore toujours ensemble les biais cognitifs, et vous pouvez retrouver ici le dossier complet.

Aux origines du biais de négativité

Notre expérience originelle du jour est différente de d’habitude. Cette fois, on s’intéresse pas à la mise en évidence d’un biais cognitif : on va plutôt chercher à comprendre d’où vient le biais de négativité.

Pour ça, comme je le disais à l’instant, il faut remonter quelques dizaines de milliers d’années en arrière. A l’époque, le monde entier c’était un peu comme l’Australie aujourd’hui : tout ce qui ne cherchait pas à vous tuer, cherchait probablement à vous manger.

C’est là que le biais de négativité est très Darwiniste : entre deux Néandertaliens par ailleurs similaires, celui qui prêtait le plus attention aux signaux négatifs avait bien plus de chances de survivre. Guy s’est fait piétiner par un Mammouth en passant dans la vallée ? Ca a marqué Pierre le Blond, qui du coup évite de passer par cette vallée. Pierre le Frisé, lui, s’en va y gambader gaiement… et se fait piétiner à son tour.

Du coup, le Blond va se reproduire, et pas le Frisé. De génération en génération, cette attention aux signaux négatifs va se transmettre, et c’est comme ça que le biais de négativité s’est ancré dans notre génome.

Au fait, c’est quoi, le biais de négativité ?

Bon, avec ces péripéties à l’âge de Pierre, on a pas encore défini le biais de négativité – en tout cas dans sa version moderne.

Ce biais, c’est notre tendance à réagir davantage aux événements négatifs, mais aussi à les retenir beaucoup plus efficacement. Par exemple en 2019 – dans le fameux monde d’avant – j’ai pris environ 120 fois l’avion. Sur ces 120 vols, environ une vingtaine ont été soit en retard, soit annulés. Eh ben pour tout le monde, à commencer par moi, à chaque fois que je prends l’avion il est en retard.

L’occurrence a beau être fortement minoritaire, c’est celle qu’on retient. Donc, quand on fait le reproche aux médias de ne jamais parler des trains qui arrivent à l’heure, c’est en fait doublement injuste : déjà, ils en parlent probablement un peu (mais on le retient pas), et puis de toutes manières, ça ne nous intéresse pas (et du coup on ne le relève pas, donc pas d’audience ou de lecteurs).

Des recherches sur l’activité électrique de notre cerveau ont montré que les mauvaises nouvelles et autres expériences traumatisantes s’impriment directement dans notre mémoire à long terme. Alors qu’il faut qu’on reste pleinement concentrés sur une bonne nouvelle pendant plus de 12 secondes, pour qu’elle passe de notre mémoire tampon à cet échelon de long-terme.

Conséquences du biais de négativité

Le mathématicien Daniel Bernoulli (celui du théorème) a mis à jour une application directe du biais de négativité, au coeur du 18ème siècle : l’aversion au risque.

Il a proposé un jeu à des cobayes : ils avaient le choix entre un gain immédiat de 800 euros, à coup sur, et un tirage au sort qui leur donnait 85% de chances de gagner 1’000 euros, et 15% de ne rien gagner du tout. Bon je sais, à l’époque c’était probablement pas des euros.

Résultat, bien que l’espérance mathématique du deuxième choix soit meilleure – 850 € – l’intégralité de son échantillon préférait les 800 euros garantis. C’est ce qu’il a appelé l’aversion au risque.

Daniel Kahneman a obtenu le prix Nobel d’économie en 2002, entre autres pour ses recherches sur une autre variante du biais de négativité : l’aversion à la perte. Sans vouloir trop vulgariser ses travaux, on peut les résumer avec une expérience, dont découle un théorème.

Mettons qu’on joue à pile ou face avec une pièce non-truquée et qui ne tombe jamais sur la tranche. Donc, un vrai 50/50. Pile, je vous donne 20€, face, c’est vous qui me donnez 20€. Est-ce que vous joueriez ? D’après Kahneman, certainement pas. L’espérance de ce jeu est nulle, rien ne vous incite à tenter le diable.

Du coup la question c’est, à partir de combien est-ce que vous accepteriez de jouer ? Toujours d’après l’économiste, il faudrait que le gain soit au moins le double de la perte. Donc, pile, je vous donne 40€, face, c’est vous qui m’en devez 20€. On est donc deux fois plus marqués par l’aspect négatif des choses que par leur côté positif.

Des applications multiples

Les conséquences du biais de négativité ne s’arrêtent pas à l’argent.

Kelly Goldsmith et Ravi Dhar, des universités de Northwestern et de Yale ont par exemple montré en 2013 que ce biais cognitif jouait sur notre motivation. Ils ont recruté un panel de 62 étudiants, qu’ils ont réparti en deux groupes. Les deux groupes devaient résoudre des anagrammes : on leur donnait des lettres dans le désordre, et ils devaient retrouver le mot caché. Par exemple : ETKBAS -> BASKET.

Pour le premier groupe, la règle c’était que pour chaque anagramme résolu, ils allaient recevoir 25 cents. On leur disait aussi qu’il y avait 6 anagrammes et aucune limite de temps, et que donc le gain maximum était de 1$50.

Pour le deuxième groupe c’était l’inverse : ils recevaient 1$50 au début de l’expérience, et ils allaient devoir rendre 25 cents pour chacun des 6 anagrammes qu’ils n’auraient pas résolu, toujours sans limite de temps.

Le twist, c’est qu’il y avait 4 anagrammes tout à fait trouvables. Mais les deux derniers étaient affreusement difficiles. Donc l’expérience consistait pas à voir combien d’anagrammes chaque groupe allait résoudre, mais plutôt, combien de temps ils allaient se casser la tête sur les deux introuvables, avant d’abandonner et de retirer leurs gains. Quand on y pense, c’est la définition même de la motivation : quels efforts on va consacrer à une tâche.

Bilan, le groupe qui perdait de l’argent à chaque anagramme non résolu, consacrait un peu plus de 15 minutes à bûcher sans succès sur les mots introuvables, alors que le groupe qui pouvait en gagner n’y passait qu’un peu plus de 9 minutes. Tout le monde repartait avec 1$, et il était clairement démontré que d’éviter la perte était une meilleure source de motivation que d’aller chercher un gain. Toujours par la force du biais de négativité.

Le biais de négativité, appliqué à la vente

J’ai une bonne nouvelle pour vous. Si vous appliquez déjà les bonnes méthodes de vente, vous avez rien à changer. Du coup, je passe tout de suite à la conclusion ?

Bon allez, vous inquiétez pas, je vais détailler un peu.

Si vous avez déjà écouté ne serait-ce qu’un de mes podcasts, vous avez sans doute déjà entendu cette phrase : parlez du problème, pas de votre produit. L’effet secondaire imprévu, c’est que comme on consacre l’essentiel du temps à identifier et creuser les problèmes, on se sert deux fois de la force du biais de négativité

Les 6 temps de l’entretien de vente

D’abord, on va venir booster la motivation de notre prospect, en mettant ensemble le doigt sur son problème. Pour ça, encore une fois on va éviter le « Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit ? », à la place :

  1. On va venir lui présenter une histoire ultra-pertinente, centrée sur un problème que quelqu’un de comparable à lui a déjà rencontré.
    Par exemple, si je rencontre un directeur commercial, je peux lui dire que 13% des commerciaux réalisent 87% du chiffre.
  2. Ensuite on va recontextualiser le problème.
    Dans mon exemple, je poserais une question simple : « qu’est-ce qui se passe, si ton meilleur commercial s’en va ? »
  3. Maintenant on va lui montrer le vrai problème – qui est plus important qu’il le pense.
    Si les autres 87% sont si peu efficaces, c’est parce qu’ils n’appliquent pas les bonnes méthodes, par exemple, ils passent leur temps à vanter les mérites de leur produit.
  4. De là, on va étudier en quoi le problème impacte en profondeur son entreprise.
    Tu vois, ça veut surtout dire que tu rates beaucoup d’opportunités d’apporter de la valeur à tes prospects, et du coup tu peux pas atteindre tes objectifs de croissance et de marge.
  5. Maintenant seulement on va commencer à dessiner une solution.
    Et si tes commerciaux passaient plus de temps à explorer les problèmes, pour pouvoir vendre des solutions, et pas des tapis ?
  6. Pour conclure, on peut établir un plan d’action pour mettre en oeuvre la solution
    Assure-toi qu’ils s’abonnent tous à mon podcast !

Evidemment mon exemple est caricatural et UN POIL biaisé. Mais en suivant cette structure, non seulement vous serez mémorable, convaincant et motivant grâce au biais de négativité, mais surtout, vous pourrez conseiller vos prospects pour résoudre leurs problèmes. Ce qui est un peu le B.A. BA de la vente !

Et la deuxième lame ?

Elle vient, ta 2ème force du biais de négativité ?
Elle vient, ta 2ème force du biais de négativité ?

Merci pour la transition Jean-Jacques.

Une étude de Benjamin Hilbig, de l’université de Mannheim, a démontré qu’on avait tendance à trouver beaucoup plus crédibles les mauvaises nouvelles que les bonnes.

Il a par exemple présenté une même statistique de deux façons différentes, à deux panels représentatifs. Dans le premier groupe, il disait que 80% des mariés étaient toujours mariés après 5 ans de mariage. Dans le deuxième par contre, il annonçait que 20% des mariés divorçaient avant de les atteindre, ces 5 ans de mariage.

Et bien, 83% du panel trouvait la deuxième formulation crédible, contre seulement 56% pour la première.

L’explication est toute simple, la crédibilité qu’accorde notre cerveau à une information est directement proportionnelle à l’attention qu’il y consacre. Or, par biais de négativité, on accorde plus d’attention aux mauvaises nouvelles, donc on les croit aussi davantage.

Donc, quand on parle des problèmes de nos clients et pas de notre produit, on est aussi plus crédibles. CQFD !

Conclusion

On est, de façon évolutionniste, des boules de pessimisme, nourries par le biais de négativité. Mais c’est pas une malédiction, on peut activement faire la démarche de s’attacher au bon côté des choses !

Je vous ai dit qu’il fallait se concentrer activement sur une bonne nouvelle pendant au moins 12 secondes pour qu’elle s’imprime dans notre mémoire à long terme. C’est sur, c’est 12 secondes de plus que pour une mauvaise nouvelle. Mais c’est quoi 12 secondes sur l’échelle d’une journée ?

Allez, on oublie la vente une seconde, pendant que vous abonnez et que vous partagez cet épisode avec un ami, un proche ou un comptable, je vous laisse vous concentrer 12 secondes sur la bonne nouvelle de votre choix. Ensuite, gardez le sourire toute la journée ! A bientôt.

Vous voulez devenir commercial ? Je vous aide (gratuitement) à construire votre carrière sur des bases saines (et performantes) !


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