On ressent tous une certaine douleur, au moment de passer à la caisse – consciemment ou pas. Mais l’intensité de cette résistance au paiement varie dans notre subconscient, suivant la façon dont on règle la facture. Et si l’augmentation des plafonds pour le paiement sans contact était la décision la plus efficace du prochain plan de relance ? Vous allez voir que c’est pas si absurde.
Cet article s’inscrit dans ma série en cours sur les biais cognitifs dans la vente : vous pouvez retrouver le dossier complet ici.
Je peux pas vous parler cette fois, d’une vraie expérience originelle, qui aurait défini un avant et un après, s’agissant de comprendre nos résistances internes au paiement. Vous allez voir que vous allez sans doute trouver que tout cet épisode enfonce des portes ouvertes. Pourtant, aussi efficaces, connues et simples que soient les tactiques dont on va parler, elles sont surprenamment peu utilisées.
Quand le paiement sans contact vous fait oublier combien vous avez du régler
Je vais vous parler pour commencer d’une expérience menée par Richard Shotton et Gabrielle Hobday à la sortie de plusieurs cafés-restaurants londoniens. Dès qu’un client passait la porte, ils lui posaient trois questions. Combien est-ce que vous avez dépensé ? Quel moyen de paiement avez-vous utilisé ? Et enfin, est-ce qu’on peut voir votre ticket de caisse ?
Ce que les deux chercheurs voulaient déterminer, c’était l’écart entre le montant annoncé, et le montant réel de la facture. Et ensuite, de voir le lien éventuel qu’ils pouvaient faire entre cet écart et le mode de paiement. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les résultats parlent d’eux-mêmes.
Quand un client avait payé en liquide, il surestimait sa facture de 9%. S’il avait payé par carte, il annonçait un montant exact. Et enfin, s’il avait utilisé le paiement sans contact, il sous-évaluait sa facture de 5%. On voit donc que, même pas deux minutes après avoir payé, la perception d’une facture est déjà très différente, suivant le mode de paiement qu’on a utilisé.
Deuxième expérience, avant l’ère du paiement sans contact
Duncan Simester et Drazen Prelec, deux professeurs du MIT, avaient mené une expérience complémentaire au début des années 2000. Ils avaient mis deux billets de basket en vente dans des enchères fictives. L’idée, c’était de voir combien 64 étudiants en MBA étaient prêts à mettre pour décrocher les tickets. Le twist, c’était que la moitié d’entre eux devait payer en liquide, l’autre moitié par carte.
Résultat : les étudiants payant par carte investissaient en moyenne 61 dollars, quand leurs homologues qui réglaient en liquide ne mettaient que 29 dollars. Pourtant, les professeurs leur indiquaient qu’il y avait un distributeur de billets juste à côté, et l’ensemble du panel avait largement les moyens de s’acheter ces billets pour le match de basket. Mais rien à faire, le paiement par carte agissait comme un « pousse au crime ». Et donc, le panier moyen était plus que multiplié par deux. (Panier / Basket, vous l’avez ?)
Mise en évidence de la douleur du paiement
Ce qu’on peut conclure de ces expériences – et de toutes les autres sur le sujet, et il y en a un paquet – c’est qu’il existe une douleur subconsciente au moment de payer. Mais plus l’acte d’achat est concret et physique, par exemple, quand on paye en liquide, plus on la ressent, cette douleur. A l’inverse, le paiement par carte, où on a juste à taper un code, ou encore le paiement sans contact, où on ne fait que présenter sa carte, sont si simples qu’on se met à traiter notre argent comme des billets de monopoly.
Si vous avez déjà été au casino, vous avez sans doute déjà vécu cette sensation. La raison principale pour laquelle on ne joue plus des billets sur les tables de poker ou de blackjack n’a rien à voir avec des contraintes de sécurité. C’est simplement une manoeuvre des casinos, pour nous faire jouer plus gros. Autant on va rechigner à pousser au milieu de la table une liasse de billets de 100€, autant envoyer voler une poignée de bouts de plastique, c’est nettement plus dépassionné !
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Comment appliquer ce biais cognitif à la vente ?
La première application évidente de cette connaissance de la douleur du paiement, c’est de simplifier l’acte d’achat. C’est pour ça que le paiement sans contact est si efficace – et c’est pour ça que je vous disais qu’il pourrait être un moteur inattendu pour relancer la consommation des ménages.
C’est la même histoire pour le commerce en ligne. Amazon pratique le paiement en un clic, et coincidence ou pas, ça fait gonfler le panier moyen. C’est aussi pour ça que tous les sites vous proposent de mémoriser vos coordonnées bancaires : plus vous pourrez acheter sur une pulsion, moins vous aurez de temps à écouter la petite voix dans votre tête qui dit « Aïe, Aïe, Aïe ! ».
C’est dans les vieilles marmites qu’on vend la meilleure confiture !
Dans le même esprit, vous avez cette bonne vieille tactique des restaurants gastronomiques. Une carte sur deux – généralement celle de madame, c’est pas moi qui suis sexiste, me tapez pas dessus – ne mentionne pas le signe « Euros ». Franchement, vous pensez que ça peut marcher un truc pareil ? Eh ben oui. Une étude de l’université de Cornell a montré que d’enlever le symbole monétaire boostait le panier moyen de 8% en moyenne.
Et enfin, vous avez une tactique encore plus vue et revue : celle du « prix Darty ». Au lieu d’afficher un produit à 40€, vous le vendez à 39€. Ce qui est incroyable avec cette tactique là, c’est qu’elle a elle-même forgé un biais cognitif additionnel, en nous habituant à l’association « se termine par 9 = bonne affaire ». Y a une étude assez marrante à ce sujet de l’université de Chicago.
Ils ont mis en vente une même robe sur trois panels représentatifs. Sur le panel témoin, ils la vendaient à 39€. Sur le deuxième panel, elle était 5€ plus chère, à 44€. Et enfin, dans le troisième cas, elle était 5€ moins chère, à 34€. Résultat ? Les meilleures ventes ont été faites dans la version à 39€. Le prix se terminant par 9 appaise notre douleur du paiement, en diffusant la douce sensation de la bonne affaire.
Et le B2B dans tout ça ?
Bon, c’est bien beau ces petites tactiques, mais mettre en place le paiement sans contact pour une usine à 999’900 (*c’est des euros mais on vous le dit pas) seulement, c’est pas très réaliste. Alors, comment contourner la douleur du paiement dans la vente B2B ?
La première approche, c’est de réduire l’impact. L’idée ici, c’est de ramener un montant conséquent à une dimension plus facile à digérer. Pour vous donner un exemple, au lieu de vendre un abonnement SaaS à 2’500€ par an et par équipe, vous pouvez présenter ça comme : ça vous coûtera le prix d’un café tous les jours ouvrés pour chaque collaborateur. Le total est toujours le même, mais la douleur est nettement diluée.
Dans la même veine, vous avez l’option du financement. Plutôt que de vendre une grosse installation à plusieurs millions sur un paiement unique, vous pouvez lisser l’investissement sur un contrat cadre, et transformer un budget d’investissement en budget opérationnel. En plus, ce qui ne gâche rien, ça vous permet de mettre beaucoup plus facilement en évidence un retour sur investissement !
Racontez des histoires (pas au sens péjoratif du terme !)
La dernière pirouette qui peut vous aider, c’est d’avoir une bonne histoire à raconter. On aime tous se reposer dans une histoire, et cette sensation douce qu’elle nous procure vient efficacement concurrencer la douleur qu’on ressent devant une facture. Les études montrent que les offres promotionnelles classiques « pour deux achetés, le 3ème offert » ou « tout à -50% » n’apaisent pas les acheteurs. Au contraire, c’est ça qui a fait de nous des professionnels de la réduc’, toujours en quête de la prochaine promo.
Alors bien sur ça marche un peu, mais il faut aller toujours plus loin dans l’outrance, pour atteindre le fameux « pattern interrupt ». A l’opposé, quand on donne une explication à une promo, c’est nettement plus reposant pour nos méninges. Et nos biais cognitifs sur la causation et la douleur d’achat se compensent un peu : on en devient des consommateurs apaisés.
Une étude de la Kellog School a par exemple comparé l’efficacité de deux types de promotions sur des voitures. Dans le premier cas, on disait aux clients qu’ils allaient avoir droit au même prix que les employés du garage – on racontait une histoire. Dans le deuxième cas, on leur donnait un rabais plus important, mais sans rationalisation. Et alors qu’elles étaient moins intéressantes financièrement, les premières promos étaient beaucoup plus efficaces que les deuxièmes.
Conclusion
Pour contourner l’obstacle de la douleur du paiement, vous devez faire en sorte de simplifier autant que possible l’acte d’achat. Si toutes les tailles de vente se prêtent évidemment pas au paiement sans contact, entre le financement ou la présentation de la facture avec une bonne histoire à l’appui, il y a toujours des solutions.
Alors oui, aujourd’hui on était vraiment dans la tactique à la petite semaine. Mais bon, c’est aussi sur ces gains marginaux que peut se jouer une grosse vente. Du coup, si vous connaissez un ami, un proche ou un comptable que ces astuces peuvent aider, surtout n’hésitez pas à partager cet épisode et à vous abonner. A bientôt !
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