Il parait qu’on a pas deux chances de faire une bonne première impression. On dirait bien que c’est vrai : que ce soit dans une série de mots ou une séquence d’événements, le premier élément domine totalement la suite. C’est l’effet de primauté.
Si vous vous intéressez aux biais cognitifs, appliqués à la vente, cet article s’inscrit dans mon dossier complet sur le sujet !
Première mise en évidence de l’effet de primauté
L’expérience qui a mis à jour l’effet de primauté remonte à 1946. Solomon Asch, psychologue et enseignant au Brooklyn College a proposé un exercice simple à deux panels d’étudiants. Il leur a décrit une personne fictive, en utilisant une liste d’adjectifs.
L’homme en question aurait été intelligent, travailleur, impulsif, critique, têtu et envieux. Pour le deuxième groupe, la définition ne changeait pas, c’était simplement l’ordre des adjectifs qui était inversé. L’homme devenait donc envieux, têtu, critique, impulsif, travailleur et intelligent.
Les membres du panel devaient ensuite créer une description de cette personne fictive, sur la base des informations qui leur avaient été communiquées. Dans le premier groupe, on pouvait trouver des descriptions de ce type :
« Cette personne est intelligente et investit son intelligence dans son travail. Il est peut-être impulsif et critique, mais c’est avant tout parce qu’il sait ce qu’il dit. Et c’est aussi pour ça qu’il ne va pas céder facilement à quelqu’un en désaccord avec lui. »
Dans le deuxième groupe, les descriptions prenaient une autre tournure :
« Les points forts de cette personne, comme son côté travailleur et son intelligence sont à nuancer, dans la mesure où il est avant tout envieux et têtu. Il est à fleur de peau, et ses échecs s’expliquent par sa tendance à laisser ses défauts faire de l’ombre à ses qualités. »
Vous voyez que l’angle est déjà très différent ! Et attendez, c’est pas tout.
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La suite de l’expérience de Solomon Asch sur l’effet de primauté
Dans la suite de l’expérience, Solomon Asch proposait aux deux panels une liste de 18 traits de caractère positifs. Les étudiants devaient alors choisir dans cette liste, quelles qualités ils pensaient que la personne fictive pouvait avoir.
Et bien, ceux qui avaient eu la description avec les termes positifs en premier donnaient une meilleure note à notre cobaye fictif pour 14 des 18 qualités. Ils le trouvaient par exemple généreux dans 52% des cas, contre seulement 21% dans le deuxième panel.
Dans la même veine, une autre expérience, menée par Edward Jones en 1968 montrait une vidéo à trois panels. Dans l’enregistrement, une femme répondait à un questionnaire. Mais il y avait une version différente de cette vidéo pour chaque panel.
Le nombre des bonnes et des mauvaises réponses de la femme était toujours le même – 15 sur 30 – mais leur ordre était différent. Dans la première vidéo, la cobaye répondait correctement au début et se trompait plutôt à la fin. Dans la deuxième c’était l’inverse, les erreurs étaient au début et les bonnes réponses à la fin. La troisième était une vidéo témoin, les bonnes et les mauvaises réponses étaient réparties au hasard.
Bilan ? Les panels trouvaient la femme aussi compétente, qu’elle réponde de mieux en mieux avec des erreurs au début, ou que ses réponses justes et fausses soient réparties au hasard dans la version témoin. Par contre, le panel qui voyait les réponses correctes au début la jugeait significativement plus intelligente : encore une preuve de l’effet de primauté.
Comment l’interpréter ?
Pour comprendre comment fonctionne ce biais cognitif, il faut s’intéresser à la fainéantise de notre cerveau. On dépense de moins en moins d’énergie au fur et à mesure qu’on acquiert de nouvelles informations, un peu comme si notre matière grise se disait « ça va, j’en sais déjà assez, le reste c’est superflu ».
Cette explication empirique a été confirmée par une étude de Belmore et Hubbard en 1987. Dans leur travaux, les deux chercheurs ont montré qu’on consacrait de moins en moins de temps à lire les différents points de la liste des caractéristiques d’une personne, au fur et à mesure qu’on en lisait la description.
Il y a aussi une forme d’application du biais de confirmation : on se forge une opinion au début de l’interaction, et on ne relève ensuite que ce qui viendra le confirmer. Au passage, on va aussi teinter les termes « neutres » avec la couleur de notre première impression. C’est ce qu’on retrouve dans l’expérience de Asch…
… Quand il s’agit d’interpréter des adjectifs comme « critique ». Si on a déjà une opinion favorable, on va imaginer la critique comme un retour candide et positif. Et inversement, si a une vision défavorable de la personne, son côté « critique » va être vu comme de la méchanceté ou de l’aigreur.
L’effet de primauté, appliqué à la vente
Déjà, dans nos entretiens de vente, il va falloir être d’autant plus vigilants à l’effet de primauté, si on rencontre nos interlocuteurs en fin de journée. Il y a en effet une étude de Webster, Richter et Kruglanski, des universités de Floride et du Maryland, qui a montré que plus on est fatigués, plus on a tendance à se fier aveuglément à nos premières impressions.
Dans tous les cas, la meilleure manière de s’éviter les problèmes liés à ce biais cognitif, c’est évidemment de faire une bonne première impression. Alors c’est plus facile à dire qu’à faire, mais une bonne tactique ici, c’est de commencer par le plus facile. Je m’explique : on a vu que l’important c’était pas la pertinence du premier trait de caractère exposé, mais le fait que sa nature soit positive ou négative.
Et pourtant, que font la plupart des vendeurs au premier entretien ? Ils cherchent à devenir amis avec leur prospect. Je sais pas pour vous, mais pour moi la relation amicale, c’est peut être le truc sur lequel je suis le plus difficile et le plus exigeant. Du coup, un nouveau venu qui s’attaque direct à ça, il grimpe un peu l’Everest par la face Nord : c’est faisable, mais c’est super dur.
Deux tactiques pour faire une bonne première impression
Alors rien ne vous empêche de devenir pote avec vos interlocuteurs dans un deuxième temps, mais pour commencer, faites plus simple. Ca peut passer par des évidences comme sourire, tenir la porte, être à l’heure, mais bon je pars du principe que tout ça vous le faites déjà. Il y a surtout deux tactiques payantes : le miroir et le pattern interrupt.
L’idée du miroir, c’est de ressembler physiquement à votre interlocuteur. On m’a appris que le costard était la politesse du vendeur : les sciences cognitives sont pas vraiment d’accord avec ça. Dans le fond on s’aime tous, et on aime ce qui nous ressemble. Donc, si vous partez rencontrer le patron d’une entreprise de plomberie, mettez une tenue qui soit compatible avec la plomberie.
Pour appliquer le pattern interrupt, il va vous falloir une ouverture de conversation qui sorte des vus et revus « alors, comment ça va ? » ou « quel sale temps hein ? » ou encore « quels sont les problèmes qui vous empêchent de dormir la nuit ? ». A la place, vous pouvez adopter la stratégie développée par Brent Adamson et Matthew Dixon dans The Challenger Sale: commencez par partager une information ultra-pertinente qui s’est appliquée à des prospects similaires à votre interlocuteur du jour.
Et ensuite, taisez-vous et laissez-le parler. On aime tous raconter nos histoires et parler de nos problèmes ! Vous vous êtes peut-être pas encore fait un pote, mais vous avez fait une bonne première impression.
Conclusion
Comme avec beaucoup de biais cognitifs, on pourrait résumer en disant que notre cerveau est fainéant, et que du coup il faut tenir compte de ses raccourcis. Pour éviter d’être victimes de l’effet de primauté, ne gardez pas le meilleur de votre argumentation ou de votre personne pour la fin : utilisez-le dès le début, et faites une bonne première impression.
Tiens d’ailleurs, vous savez comment impressionner un ami, un proche ou un comptable ? En lui partageant cet épisode évidemment ! Si vous êtes le premier à le faire, il sera évident pour lui que vous êtes une source de valeur inégalable. Et si je suis pas le premier à vous parler de l’effet de primauté, il me reste à espérer que je peux vous impressionner quand même grâce à l’effet de récence.
Vous avez vu ce teasing ? Maintenant vous avez pas le choix, si vous voulez pas rater l’épisode sur le sujet, il faut vous abonner. A bientôt !
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